Séisme, désastre, coup de tonnerre, douche froide, gueule de bois, toutes les expressions sont trouvées pour décrire la secousse majeure du 25 mai 2014 en France où un électeur sur quatre a voté pour les listes du Front national. Loin d’être en voie de recomposition, le paysage politique français ne cesse de se …décomposer.
Les élections européennes du 25 mai 2014 ont été un choc en France et en Europe. Dans ce qui suit, je fais une première analyse, dans l’attente des résultats officiels qui seront communiqués ultérieurement. Tous les résultats indiqués concernant ce scrutin du 25 mai 2014 sont donc énoncés avec réserve de manière approximative.
Les élections européennes en France jouent le rôle, malheureusement, depuis une trentaine d’années, d’un sas de décompression pour la colère des Français qui en ont marre qu’on les prenne pour des imbéciles. À chaque soirée électorale des européennes, on ne parle donc pas de l’Europe ni du monde mais de la France et des problèmes français.
Comme toujours, chaque commentateur y va de son couplet « les Français ont voulu que » alors que les Français ne parlent pas d’une seule voix (d’où l’élection d’ailleurs) et qu’ils sont, plus que jamais, très diversifiés dans leurs motivations et leurs attentes. Cela m’étonne toujours, par exemple, que lorsque la gauche subit un échec très fort (ici, ce serait à peine 30%, communistes compris !), certains disent que les Français veulent plus de gauche ! Cette généralisation est abusive, quel qu’en soit le sens, il faudrait juste dire : « certains Français veulent… » (et d’autres veulent le contraire ; on est bien avancé avec ce genre de réflexion.
La participation
La participation aux élections européennes a été très faible encore cette année, de l’ordre de 43%, mais contrairement au mouvement relativement croissant de l’abstention, la participation de ce 25 mai 2014 est supérieure à celle des élections européennes du 7 juin 2009 et même du 12 juin 2004.
Pas de quoi pavoiser pour autant puisque plus d’un électeur français sur deux ne s’est pas senti concerné par ce scrutin malgré la présence de 193 listes au total en France, dont 31 pour la seule circonscription d’Île-de-France et la possibilité, depuis seulement ce dimanche, de voir son vote blanc comptabilisé de manière distincte du vote nul.
L’europhobie est-elle majoritaire ?
La montée très forte (et incontestable) du FN a cependant rendu aveugle pas mal d’éditorialistes sur la réalité du scrutin. Beaucoup ont titré sur un rejet de l’Europe en France. Mais je ne lis pas du tout ce scrutin comme un scrutin d’europhobie.
D’indifférence à l’Europe, oui, à l’évidence, ne serait-ce qu’à cause de la forte abstention, mais sûrement pas de rejet de l’Europe. Rappelons quand même que le total des voix qui se sont portées sur des listes qui défendent la construction européenne ce 25 mai 2014 est autour de 55% des suffrages exprimés, ce qui est certes très faible par rapport aux 69,5% d’il y a trente ans, mais est néanmoins majoritaire.
C’est donc clair qu’il n’y a pas un rejet de l’Europe, mais il n’y a non plus aucune adhésion au projet européen et que les préoccupations de politique intérieure, en particulier l’emploi et les impôts, ont certainement tenu une part déterminante dans le choix des (rares) électeurs.
La faute des médias ?
C’est vrai que les médias peuvent être le bouc émissaire facile de cette indifférence des Français pour les institutions européennes. Et pourtant, je rejoins complètement Jean-Marie Cavada, journaliste bien connu de « La Marche du siècle » qui fut également président de Radio France, député européen sortant qui a été réélu de justesse sur la liste UDI-MoDem menée par Marielle de Sarnez en Île-de-France, qui n’a pas hésité à accuser sur France 2 les médias français de tout faire pour ne pas donner envie de voter.
Contrairement à d’autres, Jean-Marie Cavada est qualifié pour critiquer ses confrères. Or, il est vrai que depuis une vingtaine d’années, il n’y a aucun média important, en particulier du service public, qui a fait des émissions régulières sur l’Europe.
D’abord, hors campagne électorale, alors que dans des pays comme l’Allemagne, il y a régulièrement des émissions (plusieurs fois par mois) pour expliquer l’action des députés européens, l’actualité européenne (le Traité de Lisbonne, l’enjeu du budget européen, des négociations du Traité transatlantique, etc.) et le fonctionnement, certes compliqué, des institutions européennes. C’est compliqué parce que nous sommes maintenant vingt-huit et pas six et que les mécanismes de codécision sont forcément moins simple qu’à quelques-uns.
Ensuite, au cours de la campagne électorale où aucun débat français avec les candidats à la Présidence de la Commission Européenne (dont la plupart parlent français) n’a été organisé. À l’exception de la dernière semaine, où la télévision publique s’est sentie obligée de multiplier la couverture médiatique, il y a eu très peu de débats contradictoires avec de grands leaders politiques. En comparaison, en Allemagne, il y avait régulièrement, tout au long de la campagne, trois à quatre grandes émissions par semaine consacrées au débat européen en début de soirée.
Enfin, même la soirée électorale a été bâclée. À part les chaînes d’information continue et la chaîne parlementaire, TF1 diffusait son film traditionnel dès 21h00 (le film était curieusement « X-Men, le commencement ») et France 2 reprenait ses programmes habituels dès 22h30. Quant à France 3 dont les réseaux régionaux font pourtant la force de France Télévisions dans les soirées électorales, aucun changement de programmation n’avait eu lieu. Il a fallu attendre longtemps pour avoir quelques indications sur les autres pays européens.
L’ancien ministre Éric Woerth a vivement demandé, dans la soirée électorale sur iTélé, que ces débats sur l’Europe continuent après le scrutin, qu’ils le soient en permanence : « L’Europe ne s’arrête pas ce soir, il faut continuer à en parler. ».
Non seulement les médias français ont saboté la campagne des européennes, mais ils en ont fait un enjeu uniquement centré sur le FN, lui apportant ainsi un écho qui n’avait rien à voir avec les enjeux européens.
Cela dit, malgré ces failles, la règle du jeu a été la même pour tous et les résultats sont ce qu’ils sont. La démocratie impose évidemment de respecter le choix des électeurs.
Le Front national
L’enjeu qui se noue actuellement est la constitution, ou pas, d’un groupe lepéniste au sein du Parlement Européen. Il faut 25 députés de sept nationalités différentes. Le FN s’approche des 25 ou les a (?) mais il lui faudra convaincre un certain nombre d’élus « étrangers » de venir les rejoindre.
Le premier coup de semonce avec le FN avait eu lieu justement aux élections européennes du 17 juin 1984, où il devenait un parti qui allait compter, en franchissant la barre des 10% (avec 10,9%) et en se rapprochant du score du Parti communiste français (11,2%). Curieusement, malgré des pics aux élections présidentielles, le FN n’a jamais dépassé vraiment la barre des 10%, sa meilleure performance, jusqu’en 2014 était le 15 juin 1989 avec 11,7%.
Ce 25 mai 2014 marque donc une nouvelle étape avec le franchissement non seulement de la barre des 20% mais probablement aussi des 25% des suffrages exprimés. Le FN fait donc plus que doubler son plus fort pourcentage de 1989. Il fait également nettement mieux que son score du 22 avril 2012 où Marine Le Pen approchait les 18% (17,9%) avec 6,4 millions d’électeurs.
Fait-il vraiment mieux qu’en 2012 ? En fait, cela peut se discuter puisqu’il y a des chances (je n’ai pas les résultats définitifs) pour qu’il y ait dans l’absolu nettement moins d’électeurs du FN qu’en 2012 (j’y reviendrai plus tard). Mais dans tous les cas, il serait trompeur de regarder le pourcentage d’électeurs du FN par rapport aux inscrits (autour de 11% des inscrits) en sous-estimant l’onde de choc puisque tous les autres partis font nettement moins que lui.
De même, les environ 25% du FN de ce 25 mai 2014 restent inférieurs aux scores des candidats de l’UMP et du PS aux deux dernières élections présidentielles de 2007 et 2012 (supérieurs ou égaux à 25,9%).
Alors que le choc du 21 avril 2002 avait enregistré le fait que Jean-Marie Le Pen était arrivé en deuxième position, de justesse devant Lionel Jospin, celui du 25 mai 2014 est beaucoup plus remuant puisque le FN est désormais en première position et largement (pas de justesse) avec près de 4 à 5% d’avance sur l’UMP qui est en deuxième position.
Ce n’est pas nouveau et cela fait au moins depuis mars 2011 qu’un combat contre le FN ne peut plus passer par des considérations purement morales (« Ce n’est pas bien de voter FN »). C’est fini depuis longtemps, depuis que Marine Le Pen est entièrement introduite dans tous les médias et que ses concurrents acceptent la discussion avec elle. Or, le PS a trop souvent fait de la lutte contre le FN un impératif moral qui, en fin de compte, manque de respect à ses électeurs.
En revanche, un combat sur le plan politique est nécessaire. Dire que les mesures que proposent le FN enfonceraient encore un peu plus la France dans la pauvreté et la faillite économique par un isolement suicidaire aurait certainement plus d’impact que la seule raison morale qui, à mon sens, ne fait qu’accroître les gens en colère contre cette arrogance politique.
Le PS
L’effondrement du PS était une donnée prévue et inscrite depuis plus d’un an, depuis l’affaire Cahuzac, dans l’agenda du Président François Hollande qui peut s’enorgueillir de faire mieux dans les sondages de popularité que le score de son seul parti de gouvernement aux européennes.
Seulement 14% environ, probablement moins encore que la véritable débâcle de la liste dirigée par l’ancien Premier Ministre Michel Rocard (14,5%) le 12 juin 1994 à cause du « phagocyteur » Bernard Tapie(12,0%), et qui coûta la candidature naturelle à l’élection présidentielle de 1995 de celui qui incarnait la seconde gauche ; et donc, moins encore que le score du 7 juin 2009 où le PS avait été talonné par les écologistes avec seulement 16,5%.
Cette défaite est n’est pas une surprise et c’est même presque justice en réponse à la duperie élyséenne. L’autisme hollandien ne pouvait que provoquer des secousses d’une telle amplitude.
En se moquant de la crédulité de ses électeurs, François Hollande n’a que le retour de ses promesses électorales largement déçues par l’épreuve du pouvoir. Le matraquage fiscal très intense que les Français subissent depuis deux ans, ainsi que l’absence de réduction du déficit public, qui est pourtant l’objectif unique de ce matraquage, a provoqué la colère de tout le monde, car le Président de la République a appliqué une politique perdant/perdant.
Pire en ce qui concerne la politique européenne. L’incapacité de la France à reprendre pied dans la croissance européenne l’a éloignée de son partenaire principal qu’est l’Allemagne. Depuis deux ans, la France n’a pris plus aucune initiative concernant la construction européenne et François Hollande a eu beau répéter depuis plusieurs mois qu’il prendrait une initiative « bientôt », cette parole est aussi crédible que la dite « inversion » de la courbe du chômage prévue …en automne 2013 !
Sur tous les tableaux, François Hollande se morfond dans une incapacité à choisir une politique claire et déterminée. L’allocution préenregistrée (peut-être avant même le scrutin) du Premier Ministre Manuel Valls était assez pitoyable et ennuyeuse. Au regard fixé sur son prompteur plus que sur le peuple français, Manuel Valls continue à faire de la communication et pas de la politique, en récitant une nouvelle fois son discours de politique générale. Cependant, le journaliste Daniel Schneidermann a fait remarquer dans sa chronique du ce 26 mai 2014 : « La réaction de Valls – puisque vous boudez, on va baisser vos impôts – est donc absolument cynique, à l’image du politicien sondocentré qu’il est, mais totalement politique. Si ce cynisme nous dégoûte, soyons cohérents : finissons-en avec le suffrage universel ! ». Mais la moindre des choses, cela aurait été de reconnaître ses responsabilités dans le désastre électoral.
Pourtant, les élections européennes ne sont pas forcément un scrutin qui sanctionne les partis qui gouvernent en Europe. Le meilleur exemple en est l’Allemagne où la CDU d’Angela Merkel a gagné la première place avec 36% environ, suivi du SPD avec environ 28%. Or, il faut se rappeler que le gouvernement allemand est un gouvernement de grande coalition CDU-SPD, ce qui signifie qu’environ 64% des électeurs allemands ont approuvé les deux partis qui gouvernent actuellement le pays. 64% à comparer aux 14% français !
Cela prouve aussi qu’il y a une seule voie pour François Hollande actuellement : celle de faire les réformes nécessaires qui puissent être approuvées par une large majorité de la classe politique pour qu’elle soit pérennes, durables et équitables. C’est ce que proposait François Bayrou en 2007 et en 2012. Il ne s’agit aucunement d’un front républicain, mais de l’unité nationale : quand la situation est difficile, il faut mettre de côté ses arrière-pensées et œuvrer ensemble pour le bien de la nation.
L’UMP
Si la défaite du PS était programmée depuis longtemps, celle de l’UMP est plutôt une surprise. Les sondages donnaient du coude à coude entre le FN et l’UMP, or, près de 4 à 5% séparent les deux partis. L’effondrement de l’UMP par rapport à 2009 (27,9%) est important puisque l’UMP va perdre près d’un tiers de ses députés européens sortants.
Les causes de cette très mauvaise performance sont nombreuses et j’en citerai quelques-unes.
D’abord, il y a eu depuis deux ans un clivage de division très accentuée par la rivalité entre Jean-François Copé et François Fillon et une présence politique diffuse de Nicolas Sarkozy. Un véritable problème de gouvernance interne existe toujours, et sera peut-être levé au cours du bureau national qui se réunira le mardi 27 mai 2014 matin.
Ensuite, des affaires judiciaires sont en cours à propos de l’UMP (sur certaines supposées surfacturations) ou à propos de certaines personnalités de l’UMP, la mise en examen d’Isabelle Balkany le 22 mai 2014, et même celle, prévisible, de Claude Guéant ce 26 mai 2014, n’ont pas favorisé l’adhésion des électeurs.
Enfin, et je pense que c’est le plus important, l’UMP n’a pas fait une campagne sur les thèmes européens (au contraire du FN d’ailleurs) mais sur des thèmes purement nationaux et politiciens. Le principal argument avancé par l’UMP pour voter pour ses listes était de sanctionner sévèrement le gouvernement. Or, l’UMP n’a pas l’exclusivité de la sanction contre le gouvernement. Un tel argument favorisait même le vote FN en confortant son propre électorat dans sa colère.
La division de l’UMP sur sa vision européenne n’est pas non plus sans conséquence. Henri Guainoqui avait refusé publiquement de voter pour la liste dirigée par Alain Lamassoure et Rachida Dati a, lui aussi, participé à cet effondrement, parmi d’autres.
Beaucoup de monde à l’UMP souhaiterait profiter de ce désaveu pour changer de président, mais Jean-François Copé ne semble pas de cet avis. L’ancien Premier Ministre François Fillon semblerait même prêt à provoquer une scission en transformant son club de réflexion « Force républicaine » en véritable parti politique lors de son assemblée générale le 3 juin 2014 à la Porte de Versailles. De son côté, Jean-Pierre Raffarin est lui aussi tenté de prendre du champ. Seul l’ancien Premier Ministre Alain Juppé, brillamment réélu à la mairie de Bordeaux en mars dernier, semble en mesure d’assurer un véritable rassemblement interne.
D’ailleurs, Alain Juppé et aussi Nathalie Kosciosko-Morizet ont insisté ce 25 mai 2014 pour qu’une alliance entre l’UMP et l’UDI-MoDem soit réalisée le plus rapidement possible dans la perspective des échéances de 2017. Alain Juppé a expliqué en effet, sur France 2 : « L’UMP doit changer, recréons les bases d’un accord entre droite et centre ! » tandis que NKM : « La droite doit se réformer [et le faire]avec le centre. ».
L’UDI-MoDem
Même si le score n’est pas, en lui-même, exceptionnel, les 10% environ qu’ont récoltés les listes centristes de l’UDI-MoDem dans un mouvement naissant, qui ne date que du 5 novembre 2013, sont plutôt rassurant dans ce climat très difficile. C’est supérieur au score de François Bayrou à l’élection présidentielle du 22 avril 2012 (9,1%) et supérieur au score du MoDem aux élections européennes du 7 juin 2009 (8,5%).
On pourrait toujours faire remarquer que l’UDI, à l’époque de 2009, participait aux listes communes de l’UMP et que l’UDI-MoDem avait en tout 10 députés européens sortants pour 7 élus en 2014, mais il est clair que la différenciation n’a pas eu lieu, et que les électeurs ont fait leur choix entre soit l’UMP (quelle que soit l’ouverture de ses listes) et les centristes europhiles (quelle que soit leur organisation interne).
Cette bonne tenue électorale a donc pleinement justifié la démarche de François Bayrou et de Jean-Louis Borloo et fait réfléchir l’autre « centriste » resté encore à l’UMP, à savoir l’ancien Premier Ministre Jean-Pierre Raffarin qui, sur iTélé ce 26 mai 2014, n’est pas loin de franchir le Rubicon et de rejoindre ses anciens amis centristes de l’UDF.
En revanche, il est sûr que dans la perspective de l’élection présidentielle de 2017, une candidature commune UMP et centristes semble indispensable pour éviter d’être devancé par une candidature du FN. D’ailleurs, le total UMP et UDI-MoDem aurait pu faire au scrutin de dimanche environ plus de 30% des suffrages exprimés, ce qui aurait privé le FN de sa première place. Toutefois, comme je l’indiquais juste avant, la non-différenciation n’aurait sans doute pas provoqué une si simple addition car l’arithmétique électorale est guidée par d’autres logiques.
Les autres…
Même s’ils perdent la moitié des élus de 2009, les Verts d’EELV ont finalement réussi à éviter la chute qu’on leur prédisait et que la contre-performance d’Eva Joly à l’élection présidentielle de 2012 pouvait leur laisser craindre. En frôlant des 10%, ils sauvent ainsi les meubles, sans doute aidés par leur sortie du gouvernement Valls, mais sans beaucoup de perspective d’avenir politique autrement que dans le cadre d’une alliance électorale avec le PS pour 2017.
Avec environ 6%, le Front de gauche semble, quant à lui, se comporter comme le PCF dans les scrutins précédents, avec une faible lisibilité politique (le PCF ayant fait alliance avec le PS aux municipales, Jean-Luc Mélenchon l’ayant refusée de son côté). Sa seule consolation reste la très belle performance en Grèce du parti de son candidat à la Présidence de la Commission Européenne (Syriza) qui a atteint, avec environ 28%, la première place devant le parti du Premier Ministre Antonis Samaras.
Parmi les « petites listes » se dégagent de manière remarquable celles de Nicolas Dupont-Aignan qui aurait franchi le cap des 3% grâce auquel il aurait un remboursement des frais de campagne. En revanche, celles, très différentes, des deux anciennes ministres Christine Boutin et Corinne Lepage, seules candidates de notoriété nationale, n’ont pas eu les résultats escomptés. Quant aux listes d’extrême gauche, de Lutte ouvrière ou du NPA, elles ont été laminées.
Réactions sur les institutions
Marine Le Pen a rapidement réclamé une dissolution pour qu’un parti qui a 25% dans les urnes puissent être mieux représenté à l’Assemblée Nationale, tout en demandant avant la dissolution un changement du mode de scrutin. D’autres partis, comme le MoDem et les Verts ont également réclamé ce changement du mode de scrutin.
Pourtant, ces revendications sont assez étranges. Au contraire, ce sont grâce aux institutions que malgré la très forte versatilité de l’électorat (le FN est passé dans l’Ouest de 3% en 2009 à 19% en 2014), la France peut être gouvernée, et même si je pense qu’elle est mal gouvernée, imaginons notre situation actuelle avec les institutions de la IVe République !
Revendiquant le titre de premier parti de France, ce qui est vrai pour les européennes (mais faux pour les autres scrutins), le FN n’aurait pourtant pas beaucoup d’intérêt à demander le scrutin proportionnel. Au contraire, les scrutins à deux tours, depuis les cantonales de mars 2011, et cela s’est confirmé lors des élections législatives partielles de 2013 et les municipales de mars 2014, le FN bénéficie maintenant de bons rapports de voix entre le premier et le second tours. En prenant la première place dans le paysage politique, le FN pourrait même bénéficier de l’effet majoritaire pour les législatives de 2017.
Par ailleurs, le FN qui dénonce l’iniquité dont il est victime au Palais-Bourbon se garde bien, maintenant, de faire remarquer que le FN vient de rafler un tiers des sièges européens avec seulement un quart des suffrages exprimés…
C’est de plus malhonnête de parler d’un parti qui a 25% qui est très faiblement représenté à l’Assemblée Nationale, aussi malhonnête que de dire que le PS qui a 14% a réussi à avoir la majorité absolue. Car il faut prendre évidemment les résultats de juin 2012 qui, s’ils montrent une distorsion, sont quand même moins décalés par rapport à la réalité : le FN n’avait alors recueilli que 13,6% au premier tour et 3,7% au second tour (et pas 25%) et le PS 29,4% au premier et 40,9% au second tour (et pas 14%).
De même, vu la décomposition de la classe politique, des élections législatives au scrutin proportionnel rendrait la France complètement ingouvernable dans une conjoncture économique particulièrement critique qui ne pourrait que renforcer l’immobilisme et l’effondrement industriel en cours. Il faut rester focaliser sur l’emploi et la réindustrialisation de la France et ne surtout pas démarrer un débat sur les institutions qui paralyserait la France jusqu’à la fin du quinquennat.
Et en Europe alors ?
Le discours qui prévaut en France est double.
Du côté de l’UMP, on insiste pour dire que la vague du FN est spécifiquement française et provoquée par l’incapacité de François Hollande à gouverner la France. D’ailleurs, le FN n’est jamais aussi fort que lorsque les socialistes sont au pouvoir et la manœuvre très irresponsable de François Hollande de remettre d’actualité son projet scandaleux de droit de vote des étrangers n’a pu que favoriser le vote FN, comme cela a été le cas d’ailleurs en avril 1988 lorsque François Mitterrand avait, lui aussi, agité ce chiffon rouge.
Pourtant, il est faux de dire que la vague populiste n’est que française. Au contraire, dans beaucoup de pays, les mouvements populistes antieuropéens d’extrême droite ont gagné beaucoup d’électeurs dans de nombreux pays, en particulier au Danemark (environ 23%), en Grande-Bretagne (environ 22%), en Autriche (environ 20% pour le FPÖ de feu Jorg Haider), en Hongrie (environ 15%), en Finlande (environ 13%), en Grèce (environ 9% pour L’Aube dorée), en Pologne (environ 7% pour le KNP), et même en Allemagne (environ 6% pour l’AFD), et à cela, il faudrait rajouter le mouvement italien inclassable M5S (environ 25%). En tout, il y aurait ainsi 130 députés européens antieuropéens au sein du Parlement Européen, c’est dire que l’Europe n’est pas démocratique !
Cela dit, les groupes qui se constitueront dans les jours prochains semblent assez prévisibles. Le PPE (centre droit) resterait le plus grand groupe avec 211 sièges, le PSE (socialistes) viendrait ensuite avec 193 sièges, puis les centristes de l’ADLE avec 74 sièges (dont 7 provenant de la France), puis les écologistes avec 58 sièges, et la gauche radicale avec 47 sièges. Il est donc probable qu’un accord aura lieu, comme dans le passé, entre le PPE et le PSE pour le choix du futur Président de la Commission Européenne pour obtenir l’accord de la majorité des 751 nouveaux députés européens. Jean-Claude Juncker, le candidat du PPE, a donc une longueur d’avance sur les autres.
Triste époque…
Nous vivons une triste époque où les électeurs des démocraties expérimentées boudent leur droit tandis que dans les démocraties naissantes, on risque encore sa peau pour aller voter.
À cet égard, l’élection dès le premier tour avec probablement plus de 56%, de Petro Porochenko (48 ans) à la Présidence de la République d’Ukraine ce 25 mai 2014 est une très bonne nouvelle. Sa mission de rétablir la paix sera très difficile mais le pari de donner à cette élection son caractère représentatif et légitime est gagné, malgré l’empêchement dans certaines régions contrôlée par les séparatistes russes.
De plus que les mouvements d’extrême droite ont été laminés, selon les premières estimations, seulement 1,3% pour Oleh Tiahnibok (de Svoboda) et 0,9% pour Dmitro Iaroch (de Pravyi Sektor), ce qui ôtera aux séparatistes russes et à Vladimir Poutine leur seul argument sérieux contre le pouvoir central : Kiev n’est pas, n’a jamais été gouverné par des forces néonazies.
Autre symbole : le général Jaruzelski a disparu le même jour que ces élections européennes, comme si on enterrait définitivement la période postcommuniste pour une nouvelle période qu’il reste encore très difficile à appréhender.
À l’évidence, la France manque d’homme (ou de femme) d’État capable de vision sur ce que seront la France et l’Europe dans plusieurs décennies. Marine Le Pen surfe sur ce vide, en profite pour faire son plein aux européennes, mais qu’en fera-t-elle à Bruxelles et à Strasbourg ? Pas grand chose pour l’intérêt national.