Emmanuelle Allibert croque les auteurs à belles dents

L’art de la caricature, comme celui du pastiche, est toujours délicat. Il faut savoir saisir l’essentiel pour accentuer le trait sans tomber dans un excès qui nuirait à la vraisemblance. Peut-être est-ce pour cela que les meilleurs caricaturistes du XIXe siècle – Carjat et Nadar – comptèrent aussi parmi les plus grands photographes de portraits. Seul un œil acéré, apte à isoler un mouvement fugace, à déceler un caractère, permet d’atteindre le but recherché. En littérature, l’exercice se révèle encore plus périlleux car, si le spectateur consacre quelques minutes à un dessin, le lecteur passera plusieurs heures en compagnie d’un livre. Il faut donc retenir son attention, ne pas l’ennuyer, faire mouche à chaque page pour lui soutirer un sourire, voire un rire.

C’est ce à quoi parvient avec une belle dextérité comique Emmanuelle Allibert dans son premier livre, Hommage de l’auteur absent de Paris (Léo Scheer, 216 pages, 18 €). L’ouvrage est une sorte d’ovni littéraire, puisqu’il n’appartient ni au registre du roman, ni vraiment à celui de l’essai tout en échappant au narcissisme agaçant de l’autofiction. Son titre donne quelques indications sur son contenu : il reprend la formule imprimée sur bristol que les éditeurs insèrent dans les exemplaires de service de presse des ouvrages qu’ils adressent en primeur aux critiques lorsqu’un auteur, qu’on aurait tort d’imaginer crapahuter en Patagonie à un moment si stratégique pour sa promotion, préfère siroter son café au Flore ou déjeuner chez Lipp plutôt que de torturer ses méninges à écrire une centaine de dédicaces plus ou moins originales.

Il est donc ici question d’édition. Dès les premières lignes, on comprend qu’Emmanuelle Allibert fait partie du sérail : elle occupe les fonctions d’attachée de presse dans une grande maison. Son humour, aussi subtil que corrosif, sied à cette succession de portraits-charge des principaux acteurs d’une république du livre dont les frontières se confondent avec celles du VIe arrondissement. Elle vise juste. « L’Auteur », cible principale de ce texte, est examiné au microscope : son travail, ses (dés)illusions, ses relations avec son éditeur, le directeur commercial de l’institution, son attachée de presse, fournissent l’occasion de passages hilarants ; sa présence sur Internet, ses tentatives de plagiat, ses contacts avec les lecteurs, son rapport aux médias, à l’argent sont traités d’une plume tout aussi affûtée.

Le sens aigu de l’autodérision de l’auteure (une qualité rare aujourd’hui) s’exprime pleinement au fil des chapitres. Les lecteurs, qui ignorent tout des coulisses de ce monde des Lettres (et des chiffres…), s’amuseront de les découvrir à travers une lentille grossissante ; quant aux acteurs de l’industrie éditoriale, nul doute qu’ils se reconnaîtront dans nombre de situations décrites et rirons – jaune s’ils se sentent concernés, à gorge déployée lorsqu’ils croiront retrouver, sous des traits souvent peu reluisants, un ami, un partenaire ou un concurrent. Certaines sections réservent de grands moments de rire, comme « l’auteur passe à la télé », « l’auteur reçoit un prix », « l’auteur est adapté au cinéma » ou « l’auteur va à l’étranger ». Et l’on s’aperçoit vite que la vie de cet antihéros mégalo, un peu veule, légèrement escroc, mais « écrivain » – position sociale importante dans un pays qui valorise depuis toujours l’écrit – ressemble à s’y méprendre à un cimetière des vanités.

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