« Le modèle français a un avenir (…). La clef pour l’économie française, c’est de réussir dans la mondialisation pour [continuer]ce modèle. » (Emmanuel Macron, le 12 mars 2015).
Le jeune Ministre de l’Économie Emmanuel Macron a passé son premier grand oral médiatique ce jeudi 12 mars 2015 en étant l’invité principal de l’émission « Des paroles et des actes » animée par David Pujadas sur France 2. Je ne répéterai jamais assez combien cette émission (l’une des rares consacrées sérieusement à la politique sur les chaînes généralistes) traîne en longueur, dans le seul but de faire sortir de la bouche de l’invité la petite phrase qui fera le buzz.
Qu’importe, c’était la première fois que les citoyens français pouvaient enfin juger directement de la capacité de conviction d’Emmanuel Macron, et l’exercice s’est montré très positif pour le ministre, un sondage à la fin de l’émission ayant même montré qu’il avait retourné une proportion non négligeable de téléspectateurs initialement sceptiques.
Emmanuel Macron a su allier durant cette soirée une brillante intelligence avec une communication efficace, tout en cherchant à s’affranchir des vieux réflexes du langage politicien (langue de bois), notamment en faisant preuve d’une réelle humilité politique (c’est l’avantage d’être novice) et d’une sincérité sémantique qui a pu frapper plus d’un journaliste.
Qui est Emmanuel Macron ?
Emmanuel Macron n’a que 37 ans, et il paraît avoir réussi partout, tant dans sa vie professionnelle que politique, et même personnelle. Il a obtenu le troisième prix du conservatoire d’Amiens au piano, il a fait de la boxe et du football. Mais en fait, malgré sa mention très bien au baccalauréat scientifique au lycée Henri-IV, il a connu l’échec, il n’a pas pu entrer à l’École normale supérieure. Il s’est replié sur un DEA de philosophie à Paris-Nanterre, ce qui lui a permis de travailler quelques années auprès du grand philosophe Paul Ricœur entre 1999 et 2001. Finalement, Emmanuel Macron intégra l’Institut d’études politiques de Paris puis l’ENA d’où il sortit inspecteur des finances en 2004.
Il a fait partie de ce mystérieux groupe de hauts fonctionnaires de centre gauche, appelés Les Gracques, qui prônèrent une alliance entre François Bayrou et Ségolène Royal en mars 2007, juste avant l’élection présidentielle. Après l’élection de Nicolas Sarkozy, Emmanuel Macron est désigné en 2007 rapporteur de la Commission pour la libération de la croissance française présidée par Jacques Attali. Proche de Michel Rocard, Emmanuel Macron devint un proche conseiller du candidat François Hollande en 2010 par l’intermédiaire de Jean-Pierre Jouyet.
Entre septembre 2008 et mai 2012, il quitta cependant la fonction publique (sans démissionner !) pour prendre la casquette d’un brillant banquier d’affaires chez Rothschild au point d’être nommé associé en 2010 puis gérant en 2012.
Avec l’élection de François Hollande, il retourna dans l’administration avec un poste très influent au cœur même du pouvoir, à l’Élysée, comme secrétaire général adjoint du 16 mai 2012 au 30 août 2014. C’est lui l’auteur principal de la boîte à outils présidentielle, en particulier du crédit d’impôt compétitivité emploi et du pacte de responsabilité. Après avoir été pressenti au Ministère du Budget en avril 2014, Emmanuel Macron avait voulu quitter l’Élysée en été 2014 pour se consacrer à d’autres activités professionnelles, mais le 26 août 2014, il fut nommé au gouvernement par la grande porte, succédant à Arnaud Montebourg au Ministère de l’Économie, de l’Industrie et du Numérique.
Un jeune à Bercy
Évidemment, l’émission de David Pujadas qui cherche à « psychanalyser » ses invités n’a pas raté le parallèle entre Emmanuel Macron et un très lointain prédécesseur à l’Économie, Valéry Giscard d’Estaing, que l’actuel ministre rencontra le 26 novembre 2014. Valéry Giscard d’Estaing a semblé conquis par ce jeune énarque et heureux que les jeunes fussent au pouvoir. Mais les journalistes auraient pu aussi faire d’autres parallèles en évoquant d’autres figures politiques, Joseph Caillaux, Laurent Fabius ou encore François Baroin.
Pendant toute la soirée, Emmanuel Macron a montré qu’il cultivait (encore) assez peu d’ambition personnelle, mais qu’il avait beaucoup de conviction sur la manière de gouverner. Il est surtout un pragmatique, qui a compris que la France ne pouvait empêcher sa marche vers la mondialisation mais qu’il fallait qu’elle y trouve son intérêt et pas la subir. Ce discours, assez courant au centre droit, l’est beaucoup moins à gauche, ce qui en fait une « tête de Turc » toute trouvée chez les « frondeurs » du PS.
Emmanuel Macron est-il un libéral ?
Essayer de définir un homme est une manière de le réduire à des étiquettes, mais en France, on en est friand. Il est toujours troublant de voir comment l’étiquette libérale est utilisée à tort et à travers en France dont la dépense publique est tellement massive que ce serait une imposture d’imaginer qu’un seul des gouvernants des trente dernières années serait « libéral ».
Néanmoins, Emmanuel Macron n’a pas rejeté l’étiquette avec sa propre définition : « Si libéral, ça veut dire abolir toutes les règles et laisser la loi du plus fort s’exercer, je ne suis en aucun cas libéral. (…) Si simplement être libéral, c’est trouver les bons endroits pour mettre la règle, réussir à déverrouiller les choses pour libérer des énergies dans un cadre, préserver la justice en étant efficace, alors, je veux bien assumer ce terme. (…) Plus de liberté choisie, plus de règles mises au bon niveau, c’est-à-dire au plus près du terrain. ».
Il s’est voulu avant tout pragmatique et antidogmatique : « Dans beaucoup de secteurs, sur beaucoup de sujets, je pense qu’il faut avoir une approche plus concrète des choses et regarder si ce qu’on croyait être le droit qui protège n’est pas la norme qui empêche. Parfois, c’est le cas. Et vous savez, quand cela empêche, quand cela bloque, ce sont les plus faibles qui sont bloqués. ».
Emmanuel Macron est-il de gauche ?
Dans mon titre, j’avais hésité à mettre « la chance de la gauche » car le mot « gauche » lui-même est galvaudé. Mais politiquement, c’est bien de ce côté-là de l’échiquier qu’il balance.
Sur cette appartenance à la gauche, Emmanuel Macron a sans doute eu plus de mal à convaincre. En effet, s’il a bien milité quelques rares années dans sa jeunesse au sein du Parti socialiste (ses camarades à Amiens ne semblent guère l’avoir apprécié), et même au début proche de Jean-Pierre Chevènement, il a parlé durant l’émission de la « gauche » comme il aurait pu très bien parler de la « droite » ou du « centre », une simple étiquette par tradition très familiale mais dans les options économiques, il serait bien plus proche d’un François Bayrou voire d’un Alain Juppé que d’un Benoît Hamon ou d’un Jean-Luc Mélenchon. Mais encore nain politique, il ne semble pas prêt à faire lui-même le grand saut (comme le voudrait François Bayrou).
Emmanuel Macron a ainsi donné sa propre définition, plutôt intellectuelle, de la gauche : « Pour moi, être de gauche, c’est rendre l’homme capable. » en reprenant une expression employée par Paul Ricœur.
Et il a poursuivi : « Ce qui fait que je suis de gauche, c’est que je veux rendre les Français capables, leur redonner des accès, leur redonner plus de droits, des vrais droits, pas des belles formules (…). Des droits, ce sont des possibilités, ce sont des opportunités à chaque moment de la vie. Et je me refuse à dire qu’il y aurait d’un côté un grand marché libéral (…), et puis de l’autre, une espèce de préservation des droits ou une accumulation de droits abstraits, ou de droits toujours compensés par l’État, par la puissance publique. (…) On ne peut pas abandonner ce qu’on appelle le modèle social, les protections fondamentales dont notre société a besoin, mais en même temps, à chaque moment de la vie, il faut encourager celles et ceux qui veulent prendre des risques à les prendre. Il faut les récompenser quand ils prennent ces risques. Il faut récompenser celles et ceux qui travaillent, qui inventent, qui innovent ; ça, c’est une politique de gauche, à mes yeux. C’est celle du progrès, c’est celle qui pousse la jeunesse à réussir. Le travail, le progrès, la réussite, ce sont des valeurs de gauche, ce sont celles que je défends. ».
Il n’a en revanche aucune envie de se frotter aux « frondeurs » du PS, ce qui le rend très hermétique aux jeux d’appareil : « Je n’ai pas un rapport disciplinaire de la politique ; j’ai un rapport de conviction. ».
Emmanuel Macron, « bankster » ?
Emmanuel Macron a pu entendre durant l’émission des extraits très démagogiques de discours de personnalités politiques qui lui reprochaient son ancien métier de banquier d’affaires : Jean-Luc Mélenchon, Marine Le Pen mais aussi Nicolas Sarkozy.
À Marine Le Pen qui criait que l’intérêt des banquiers n’est pas l’intérêt des Français, ce qui est vrai, il s’est contenté de dire une évidence : « Alors, dans ce cas-là, tous les métiers qu’on fait dans le privé ne sont pas pour l’intérêt général ! ». Il s’est aussi amusé de l’attaque de Nicolas Sarkozy qui, lui, a été longtemps avocat d’affaires.
Pour répondre aux critiques, Emmanuel Macron a déclaré ne pas vouloir être réduit à seulement quatre années de sa vie, et a précisé que son métier n’a pas été de vendre des produits financiers (qui auraient pu être toxiques) mais de conseiller les entreprises, et cela l’a aidé à mieux comprendre le fonctionnement de l’économie.
Emmanuel Macron, riche ?
Sur sa propre situation, Emmanuel Macron a voulu aussi recadrer : « On peut être de gauche et réussir. (…) Je ne me considère pas comme riche. J’ai d’ailleurs, comme tous mes collègues, fait à la fois une déclaration de patrimoine et d’intérêts, et vous avez pu constater que je n’étais pas à l’impôt sur la fortune et que je n’étais pas multimillionnaire. (…) Quand on réussit financièrement par son métier, on paie beaucoup d’impôts (…). ».
Puis, de disserter sur l’argent en France, tout en précisant qu’il ne s’était pas préoccupé de faire une optimisation fiscale de ses revenus : « La France a un rapport, depuis longtemps, traumatique avec l’argent. (…) Il ne faut ni l’adorer ni le détester. Et somme toute, quand on réussit professionnellement et qu’on gagne de l’argent, ce n’est pas un crime, il faut payer ses impôts en France en totalité, et quand on a des convictions, des idées, on les défend. ».
Emmanuel Macron a aussi rappelé qu’en s’engageant dans la vie politique, il y a plus perdu que gagné financièrement : « Mais moi, j’entends moins (…) commenter le choix que j’ai fait en 2012. Moi, j’ai choisi de gagner en effet dix fois moins pour servir mon pays. Et il n’y en a pas beaucoup qui feraient ce choix. Donc, je n’ai pas à rougir. ».
Tirade contre les journalistes qui entretiennent le fossé entre politique et peuple
Assez agacé par de nombreuses questions qui voulaient le mettre dès maintenant dans la position d’un futur candidat à l’élection présidentielle (Jacques Attali le verrait ainsi en 2032 !), Emmanuel Macron a rejeté ces considérations très politiciennes pour rappeler sa tâche : « Quand vous êtes en train de rechercher un job, quand vous êtes dans des situations difficiles, que vous vous bagarrez au quotidien, moi, je m’occupe d’économie, donc directement de ce qui touche les Françaises et les Français, vous voyez quelqu’un que vous ne connaissiez pas il y a huit mois, qui arrive, qui apparemment essaie de se démener, ce que je fais en effet au quotidien, on n’a même pas passé la première loi, et vous imaginez de voir cette personne qui vous dit : moi, je pense à être élu. (…) Mon ambition personnelle, c’est de faire bien mon boulot d’aujourd’hui, c’est déjà énorme pour moi. ».
Au cours de l’émission, Emmanuel Macron a eu trois duels politiques, je n’en évoque ici que les deux derniers.
Face à Benoist Apparu (UMP)
Ancien Ministre UMP du Logement, Benoist Apparu est considéré comme un « modéré », proche d’Alain Juppé et il est même allé jusqu’à prôner une unité nationale pour adopter dix réformes majeures dont la France a besoin.
Benoist Apparu fut de ces députés de l’opposition qui ont vu d’un bon œil la nomination d’Emmanuel Macron à Bercy. Mais aujourd’hui, il est plutôt déçu car il n’a toujours pas vu les vraies réformes arriver : « Tout le drame de la vie politique et économique française, c’est justement qu’on n’arrête pas de se prononcer à vingt ans. On oublie totalement le temps long. On ne regarde que la semaine qui vient et pas l’essentiel. Or aujourd’hui, ce dont nous manquons, me semble-t-il, c’est justement un regard à vingt ans sur les réformes lourdes, profondes, structurelles, qui seront difficiles, qui seront compliquées. Je ne vous dis pas le contraire, et on est bien d’accord que depuis bien trente ans, personne ne les a faites, ni la droite, ni la gauche. Donc la question aujourd’hui, quand j’évoquais (…) le changement de logiciel, c’est que c’est là-dessus qu’on vous attend, c’est là-dessus que les Français vous jugerons différemment. C’est si on fait enfin ces efforts-là. Et les Français seront prêts à les faire. Ils retrouveront demain le chemin des urnes. Ils se détourneront probablement du Front national. Parce que aujourd’hui, nous ne faisons qu’une chose, et aujourd’hui, vous êtes en responsabilités, vous ne faites que cela, du slogan, des paroles, des propos, mais je ne vois toujours pas (…) des actes. ».
À cette critique d’immobilisme, Emmanuel Macron n’a pas vraiment su répondre sinon à considérer sa loi comme l’alpha et l’oméga des réformes, ce qui reste un peu court !
Les deux personnages auraient pourtant pu s’entendre sur une philosophie générale de l’économie française, mais les postures politiques interdisent toute passerelle réellement engageante.
Face à Florian Philippot (FN)
Face à la tête pensante du FN, à savoir Florian Philippot, celui qui a insufflé de l’extrême gauche dans l’extrême droite, Emmanuel Macron n’a pas eu de mal à balayer efficacement les arguments très démagogiques de son interlocuteur.
Ainsi, il a trouvé assez stupéfiant d’être lui-même critiqué de vouloir faire peur aux Français : « Je dois dire que ça a une certaine saveur d’entendre M. Philippot dire que je joue sur les peurs. ça, je dois dire que je pouvais m’attendre à beaucoup de choses de votre part, mais ça, c’est assez inédit. Et donc pour un parti comme le vôtre qui propose en effet le saut dans l’inconnu, car c’est un peu ça, votre programme (…). Dire je joue sur les peurs, c’est formidable. Car sur l’ensemble du clavier politique, vous passez votre temps à jouer sur les peurs, à jouer sur les clivages, et donc, c’est assez inattendu, et vous n’êtes pas à un paradoxe près. ».
Sur le fond, Emmanuel Macron est parvenu assez solidement à démontrer qu’ériger de nouvelles barrières douanières contre des produits chinois serait une catastrophe pour l’exportation française. Il a rappelé qu’un produit final est issu de nombreux composants fabriqués dans plusieurs pays différents et que des entreprises françaises fournissent de nombreux composants à des produits chinois qui seront ensuite vendus en France.
Le ministre a été également assez clair sur l’aéroport de Toulouse et les tentatives de désinformation du FN : « C’est un flagrant délit de mensonge (…). M. Philippot s’est illustré qu’il ment et qu’il agite les peurs. (…) Les responsables d’Airbus se sont réjouis de cette arrivée des investisseurs chinois. Pourquoi ? Parce que ce sont les mêmes Chinois qui ont acheté cent Airbus. Les mêmes, M. Philippot. Et donc, de la même façon, aller expliquer qu’il y a des bons Chinois, c’est ceux qui achètent des avions et qui font travailler les Français, et qu’il y a des mauvais Chinois, c’est ceux qui investissent en France. Alors ça, M. Philippot, c’est votre idée de la mondialisation et du protectionnisme, et ça, ça n’existe que dans votre tête, parce que les autres ne sont pas plus bêtes que nous. Donc, oui, la France, elle se redressera. Oui, la France est forte. Oui, la France est une grande puissance économique. Mais elle l’est si elle est responsable, lucide. Aujourd’hui, vous n’aimez pas la France, M. Philippot, vous aimez le déclin de la France. (…) Ce que vous proposez, c’est du vent, M. Philippot. ».
Une personnalité d’avenir, incontestablement
Emmanuel Macron est arrivé en politique un peu comme Raymond Barre en 1976, comme un haut fonctionnaire inconnu, comme un extraterrestre par rapport au microcosme politique. Néanmoins, il a très bien compris les us et coutumes de la classe politique et n’a pas exclu de se présenter aux élections législatives de juin 2017 (un parachutage dans la circonscription de Jean Glavany dans les Hautes-Pyrénées semblerait même en préparation).
Son intelligence, sa communication efficace, comme je l’ai écrit précédemment, ainsi que sa grande combativité notamment contre les idées économiques du Front national, sa jeunesse aussi, bien sûr, qui reste un atout, et sa popularité, font d’Emmanuel Macron un homme qui devrait avoir un grand avenir dans les décennies qui viennent. Notamment parce que dans sa génération, il y a peu de personnalités brillantes qui se sont signalées au sein du Parti socialiste.
Restera évidemment à s’émanciper de son mentor François Hollande, à se méfier de l’ambition dévorante de Manuel Valls qui pourrait un jour se retrouver en antagonisme avec lui, et surtout, à afficher un bilan positif de son séjour à Bercy sur le front de l’emploi et de la croissance.