Les institutions communautaires, pourtant conscientes de la montée des revendications indépendantistes en Flandre, en Catalogne et en Écosse, ont donc soigneusement évité de prendre position officiellement sur un sujet qui fâche. Il y a quinze jours, la porte-parole de la Commission, Pia Ahrenkilde Hansen, s’est contenté d’un laconique : « nous ne voulons en aucun cas commenter une affaire qui relève de la politique intérieure d’un Etat et interférer dans le cours d’une campagne démocratique ». Cependant les responsables européens ne cachent guère leur opposition à une indépendance écossaise, de peur que celle-ci ouvre la boite de Pandore des revendications régionales. Ainsi, le président sortant de la Commission, José Manuel Durao Barroso, n’a pas hésité à se faire menaçant en février dernier : « il sera extrêmement difficile, voire impossible » pour l’Écosse indépendante de rejoindre l’Union, car « il sera bien sûr très difficile d’obtenir l’accord de tous les autres États membres de l’UE pour accepter un nouveau pays venant d’un autre État membre ». Il en voulait pour preuve le Kosovo que l’Espagne refuse toujours de reconnaître.
Le conseiller d’État, Jean-Luc Sauron, spécialiste des questions européennes, se montre particulièrement critique de la sortie de Barroso et de la réticente prudence de l’Union : « comment peut-on dire que l’exercice d’un droit démocratique, l’autodétermination, entrainera l’exclusion définitive d’un nouvel État dont le territoire était jusque-là une part constitutive de l’Union et alors qu’il ne veut pas en sortir ? A quoi sert le référendum dans ce cas ? » Et Sauron de rappeler que l’Union a intégré les 17 millions d’Allemands de l’Est qui, eux, n’ont jamais appartenu à l’Union sans exiger une nouvelle procédure d’adhésion « d’une Allemagne unifiée qui était autre chose que celle qui avait adhéré en 1957 »… En clair, ce qui vaut pour l’élargissement pas absorption ne vaudrait pas pour une séparation d’une partie du territoire européen.
Pourtant, les juristes de droit international estiment, comme le reconnaît Sauron, que « juridiquement, ça paraît bordé ». « Au nom de la continuité de l’État, le Royaume-Uni d’Angleterre, du pays de Galles et d’Irlande du nord conserverait les attributs de l’État et donc resterait seul membre de l’Union », admet Claude Blumann, professeur émérite à l’Université de Paris II. « L’Écosse, qui a abandonné sa qualité d’État dans le traité d’Union de 1707 sans possibilité de reprise, serait un nouvel État au sens du droit international et devrait donc se soumettre à un processus d’adhésion aux organisations internationales, comme l’ONU ou l’Union européenne ». En clair, l’Écosse ne pourrait pas bénéficier d’une adhésion de plein droit bien qu’elle ait totalement intégré l’acquis communautaire : en choisissant l’indépendance, ses citoyens voteraient en même temps pour la sortie de l’Union… Pour Claude Blumann, la comparaison avec l’ex-RDA ne tient pas : « il ne s’agissait pas du démembrement d’un État, mais d’une intégration dans la RFA qui a continué d’exister ». Et même si Londres convenait dans le traité de séparation qu’Édimbourg resterait membre de l’Union, « l’effet relatif des traités empêcherait que cette disposition soit opposable aux autres États membres ».
Mais ça, c’est la théorie : le droit international est un droit mou qui s’adapte à la réalité politique : « le droit, c’est un rapport de force », rappelle Jean-Luc Sauron. « Il ne faut pas laisser cette question aux juristes », s’amuse Frédéric Mérand, professeur de sciences politiques à l’Université de Montréal. « S’il y a une volonté politique des États membres de maintenir l’Écosse dans l’Union, on pourra le faire », reconnaît un éminent juriste qui préfère ne pas être cité. « D’autant que l’Écosse est un cas particulier », insiste Sauron, « Londres ayant donné son accord au référendum d’autodétermination ». « Il s’agit d’une scission de velours et je n’imagine pas un pays poser son véto à une solution amiable et pour permettre à l’Écosse de rester dans l’Union ou moins de la rejoindre rapidement », ajoute Frédéric Mérand : « d’autant que si la Grande-Bretagne quitte l’Union en 2017, Bruxelles sera très contente d’en garder un bout ».
Une telle solution amiable dépendra au final de l’Espagne, celle-ci étant peu désireuse de créer un précédent avec l’Écosse dont la Catalogne pourrait se prévaloir : en 2012 : José Manuel García-Margallo, le ministre des Affaires étrangères espagnol, n’a-t-il pas prévenu qu’une Écosse indépendante devrait « retourner au bout de la file d’attente » pour pouvoir rejoindre l’Union ? « Je ne crois pas à ce véto, car Madrid ne peut pas défendre Londres contre son gré. Après tout, elle a accepté la tenue d’un référendum. La Catalogne, elle, si elle fait sécession, le fera contre la volonté de Madrid », estime Frédéric Mérand. Et en cas de véto, s’amuse Claude Blumann, l’Écosse pourra toujours, pour le contourner, fusionner avec un État membre comme la France en se prévalant du précédent allemand…