Ceux qui guettaient ou espéraient un changement de style d’entrée de jeu en sont donc pour leurs frais. Il faut dire que le nouveau commissaire sait que les chrétiens-démocrates allemands de la CDU, le parti d’Angela Merkel, qui se sont opposés à sa nomination, guettent son premier faux pas, pour sonner la charge.
Rompre immédiatement avec le discours austéritaire de la commission présidée par José Manuel Durao Barroso aurait été prêter le flanc à l’accusation de laxisme, alors que l’Hexagone conjugue toujours déficit public élevé et chômage de masse (-4,5 % du PIB et 10,4 % de chômeurs pour 2015), un bilan dont il est aussi comptable.
Il y avait quelque chose de surréaliste à entendre Moscovici expliquer froidement, à propos du retour de la croissance dans les pays qui ont subi des cures violentes d’austérité pour éviter le défaut de paiement, que « les processus d’ajustement ont montré leurs effets positifs : elles fonctionnent clairement ». Rappelons que le chômage est attendu à 25 % en 2015 en Grèce (22 % en 2016), de 23,5 % en Espagne (22,2 %), de 15,8 % à Chypre (14,8 % en 2016) ou encore de 13,6 % au Portugal (12,8 % en 2016). Seule l’Irlande a en partie limité la casse sociale (de 14,7 % en 2011 à 8,5 % en 2016)… Des mots de Moscovici qui font échos à ceux d’Olli Rehn : « l’austérité, ça marche ! ». Interrogé par les journalistes, le nouveau commissaire a martelé qu’il n’avait « pas de gêne » à le dire : « la crise est liée à un endettement excessif des acteurs privés et publics. Je n’ai aucun doute là-dessus : le désendettement était nécessaire ». Pour l’ancien ministre, « un euro consacré au service de la dette, c’est un euro de perdu. Il n’y aura pas de croissance sans désendettement ».
Un discours qui a dû faire plaisir à Berlin. Mais l’ex-locataire de Bercy a néanmoins réussi à faire entendre sa petite musique : « il n’y aura pas de désendettement sans croissance ».Jean-Claude Juncker, le président de la Commission, dont il clame que c’est celle « de la dernière chance », sait aussi qu’il faut sortir de cette politique du respect à la virgule près du Pacte de stabilité. Lui qui a expliqué hier au Parlement européen qu’il n’est pas « à la tête d’un gang de bureaucrates » va devoir l’établir en rompant avec ce discours glacé de technocrates.
L’espace politique existe : même si le spectre de la déflation semble, selon lui, s’éloigner, « la situation de l’économie et de l’emploi ne s’améliore pas assez vite », a insisté Jyrki Katainen. C’est le moins que l’on puisse dire : la croissance demeure toujours aussi faible et le chômage ne reflue que très lentement dans la zone euro (11,3 % attendus en 2015 contre 11,6 % en 2014). Même le moteur allemand hoquette : 1,3 % de croissance fin 2014 (contre 1,8 % au printemps) et 1,1 % en 2015. Désormais, le Fonds monétaire international, l’OCDE et même la Banque centrale européenne estiment qu’il faut relancer l’investissement public, sinon l’Europe ne renouera pas avec la croissance avant longtemps. Les exemples américain et britannique sont sous les yeux de la Commission : ainsi, Londres affichera certes un déficit de 4,4 % en 2015 (contre 8,3% en 2012), mais un chômage ramené à 5,7 %… « Il n’y a pas de solution unique et simple pour résoudre les difficultés de l’économie européenne », a martelé Pierre Moscovici : « il nous faut ordonner notre action autour de trois axes : des politiques budgétaires crédibles, des réformes structurelles ambitieuses et l’investissement indispensable des secteurs public et privé ». Le fameux plan de relance de 300 milliards d’euros sur 3 ans promis par Juncker pour décembre a justement pour ambition de sortir l’Europe de son obsession budgétaire.
Photo: Reuters
N.B.: article paru dans Libération du 5 novembre