Diego Velázquez règne en maître au Grand Palais

La remarquable exposition consacrée à Diego Velázquez (1599-1660) qui se tient au Grand Palais jusqu’au 13 juillet met en lumière deux situations singulières : l’étonnante absence, dans le passé, d’une telle manifestation française autour du maître espagnol et la non moins étonnante absence de toiles significatives de l’artiste dans nos collections publiques. Voilà qui justifie amplement une visite, car la cinquantaine d’œuvres du peintre sévillan ici réunies (parmi lesquelles quelques-unes des plus emblématiques), qui représente environ la moitié de sa production connue à ce jour, se révèle tout à fait exceptionnelle.

Velázquez fut, il est vrai, longtemps injustement tenu à distance dans notre pays ; son réalisme, finalement, plus proche des Flandres que de la Méditerranée, peinait à séduire les tenants de l’académisme, dont les affinités se portaient naturellement sur l’idéalisme italien. Il faudra attendre le XIXe siècle pour que le regard change : Gustave Courbet appréciait son art, au point d’en réaliser une copie ; Edouard Manet voyait en lui « le peintre des peintres » ; les Impressionnistes l’admiraient et le XXe siècle s’en empara – songeons à la source d’inspiration qu’il fournit, notamment, à Picasso et Francis Bacon.

Le parcours proposé s’articule chronologiquement – une démarche qui permet de mesurer l’évolution de l’artiste, tant dans sa technique que dans les thématiques qui traversèrent sa création. De ses années d’apprentissage, on retiendra des peintures religieuses, confrontées ici à celles de son maître Francisco Pacheco. Très vite toutefois, se dessinera un glissement vers le Naturalisme (on serait presque tenté de dire : le Réalisme) et les scènes de genre, avec La Mulata et surtout la Scène de taverne (vers 1618) et Trois Musiciens (1616-1617). Dans ces toiles, déjà, s’esquissent des passerelles vers le style du Caravage et l’on saluera la transition bienvenue opérée par le commissaire de l’exposition qui propose une section intitulée « La Découverte du caravagisme », illustrée en particulier par un Saint Thomas à la très subtile lumière et un puissant Saint Paul fort éloigné de l’image d’« avorton de Dieu » qu’il avait lui-même véhiculée – puissance qui contraste avec le charme presque féminin du Saint Jean-Baptiste de Bartolomeo Cavarozzi, représenté, comme l’avait choisi le Caravage, dans sa jeunesse.

La suite de l’exposition présente les premiers portraits de Velázquez, qui n’offrent aucune concession à un Beau aguicheur mais privilégie les physionomies dans ce qu’elles ont de délibérément réel (songeons à la terrible Mère Jerónima de la Fuente), puis des œuvres datant du premier voyage en Italie entrepris en 1630 sur le conseil de Rubens, dominées par la célèbre Forge de Vulcain, une scène de genre, Rixe de soldats devant l’ambassade d’Espagne suivies d’une série de portraits de l’infant Baltasar Carlos.

Deux œuvres retiendront ensuite l’attention des visiteurs car elles semblent inattendues et intriguent : d’abord une Allégorie féminine très énigmatique représentant une femme vue de profil touchant du doigt, dans un mouvement harmonieux, une toile vierge ou une feuille de papier ; l’énigme séduit bien davantage dans ce portrait que dans celui, sévère et sans doute antérieur, dans une pose très similaire, de Sibylle, conservé au musée du Prado. Puis vient peut-être la toile la plus extraordinaire de l’exposition, Vénus au miroir (vers 1647-1651), l’un des très rares nus de la peinture espagnole aujourd’hui sacré icône de l’histoire de l’art. Un ensemble de courbes et de contre-courbes, une grâce de la pose, une carnation délicate, alliés au reflet du visage dans le miroir donnent à ce tableau toute sa puissance de fascination. N’était le Cupidon placé sur la gauche de la composition, qui renvoie à la mythologie, ce pourrait être un superbe portrait de femme posant dans la simplicité d’un atelier – et probablement le plus beau dos de la peinture, avec la Grande Odalisque d’Ingres, celle-ci bien moins mystérieuse toutefois, puisque le modèle regarde directement le spectateur. La présence, à côté de la toile, de l’Hermaphrodite endormi, marbre qui avait retenu l’attention du peintre à Rome, prend ici tout son sens.

Viennent enfin une série de portraits qui rappellent que Velázquez fut, à partir de 1623, un grand peintre de cour. Portraits de Philippe II, bien sûr, mais aussi de Pablo de Valladolid, et surtout celui d’Innocent X de 1650, fascinant, que Francis Bacon détourna à plusieurs reprises de manière radicale (la version la plus célèbre étant sans doute celle du Des Moines Art Center). On se prendrait presque à regretter qu’une confrontation iconoclaste des deux œuvres n’ait pas été ici présentée.

Si la plus emblématiques toile, Les Ménines de 1656, perpétuelle source d’interrogations, est restée accrochée au Prado, les visiteurs se consoleront devant deux autoportraits de Velázquez, celui de l’infante Marguerite en bleu, un grand cheval blanc, une belle réduction des Ménines par Juan Bautista Martinez del Mazo et une intéressante réunions de tableaux d’artistes qui furent influencés par le maître de Séville.

La centaine d’œuvres qui ponctue le parcours, présenté avec sobriété et un bel éclairage, vibre, crée un univers pictural rare, prolongé par un très beau catalogue (RMN – Louvre Editions, 407 pages, 50 €) contenant des essais qui contribueront aux progrès de la recherche contemporaine sur ce génie de la peinture.

Illustrations : Diego Velázquez, Allégorie féminine, vers 1645-1655, huile sur toile, 64 x 58 cm, Dallas, Meadows Museum, © Meadows Museum – SMU, Dallas / Photo Michael Bodycomb – Diego Velázquez, Vénus au miroir, vers 1647-1651, huile sur toile, 122,5 x 177 cm, Londres, The National Gallery, © The National Gallery – Diego Velázquez, Portrait du pape Innocent X, 1650, 140 x 200, Huile sur toile, Rome, Galleria Doria Pamphilj, © Amministrazione Doria Pamphilj srl.

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