«Quatremer serait mieux entre quatre planches » (@Marmo73).
« Voici des journalistes ! Mes vieux slips ont plus de personnalité… » (@winston4511).
« Les gens en ont marre de votre propagande néolibérale. On sait reconnaître les chiens de garde lorsqu’ils aboient » (@JonathanMachier).
« Oui ! Interrogez-vous vite et choisissez une terre d’accueil ! Ca ne va pas tarder » (@Wanatoctouillou).
« Il est tellement pro-allemand que je me demande de quel côté Leparmentier aurait été en 1939 » (@lepiche).
« Quatremer n’a jamais fait un océan. Pardon, si, un océan de connerie ! » (@Le_Comptoir).
« Imagine un être avec la gueule de merde de Quatremer, la coupe de cheveux à la con de Leparmentier et aussi que leur somme. Chaud ! » (@ASBAFfr).
« On parle de vous, Quatremer et Leparmentier et la clique éditocratique docile » (@DonBishopSam).
« Leparmentier et Quatremer, une patate et une nouille, le régime des temps difficile » (@MaloKerfriden).
« Leparmentier et Quatremer, encore deux kollabos à mettre sur la liste pour le jour de la Libération. Mais le problème, en amont, ce sont les milliers de crétins qui continuent à lire leur torchon » (Rodolphe Dumouch).
« En fait quatremerde pendant la seconde guerre mondiale t’aurais vendu du beurre aux allemands je pense… eurocollabo ». « Leparmentier et Quatremer doivent démissionner ou être licenciés ». (@Lantiboutin)
« Des amis antifa athéniens les cherchent, on ne sait pas encore s’ils y sont, c’est dommage » (@talktilk).
« La propagande austéritaire et imbécile des merdes comme Quatremer et autres éditocrates » (@KampfVoid).
« Là, faut faire quelque chose: Leparmentier et Quatremer sont en pleine phase d’exhibitionnisme de leur QI sur twitter. C’est pas beau à voir » (@PopulusRe).
« C’est en faisant trop le malin qu’on finit dans une rizière (proverbe Khmer rouge) » (@bheiderich).
Sus aux «éditocrates libéraux eurobéats»
Ce florilège de tweets haineux et menaçants (je vous épargne ceux à connotations sexuelles…), émanant généralement de courageux anonymes, ne sont qu’un échantillon de ceux que mon collègue du Monde, Arnaud Le parmentier, et moi-même avons reçus ces dernières semaines à propos de la Grèce. D’autres journalistes, comme Jean-Michel Apathie, Bruno-Roger Petit, Jean-Marie Colombani, Bernard Guetta ou encore Laurent Joffrin, tous qualifiés «d’éditocrates» libéraux et eurobéats, n’ont pas été oubliés par une «gauchosphère» et une «fachosphère» en folie. Notre « faute » ? Ne pas être béat d’admiration devant Syriza, le nouvel eldorado des souverainistes de tous bords, montrer une réalité grecque un peu plus complexe que celle que s’imaginent des gens qui plaquent sur un pays qu’ils ne connaissent pas leurs a priori idéologiques. Tout fait qui s’éloigne de la doxa qui veut que « les » Grecs (le pluriel est important dans l’essentialisation des Grecs) crèvent de faim à cause de l’Europe, du FMI et des banques est aussitôt brocardé, pas réfuté, brocardé.
L’agitation de ces internautes, certes minoritaires, mais bruyants, a, et c’est une première, trouvé quelques relais (des RT complaisants, voire des interpellations directes avec le même ton de procureur à la petite semaine) parmi des journalistes qui n’ont pas mesuré ce que ces tentatives de réduire au silence des confrères accusés de « mal penser » impliquait pour la liberté de la presse et la liberté d’expression en général. Car on cherchera en vain le même type de prise à partie émanant de ceux que ces gens qualifient « d’eurobéats ultra libéraux anti-Grecs » : cette violence hystérique, cette volonté d’interdire le débat, en opposition frontale avec toutes les valeurs démocratiques, est bien le fait d’une partie du spectre politique français, la gauche radicale (héritière du communisme et de ses déclinaisons) et la droite radicale (héritière de Pétain et de Maurras), celle qui, en réalité, n’a jamais admis la démocratie. La Grèce, de ce point de vue, offre un bon exemple de leur façon de penser : Syriza élu, c’est le peuple et la démocratie en marche.
Les dix-huit autres gouvernements de la zone euro, ce sont des technocraties peu respectables (l’Allemagne est quasiment redevenue nazie) puisqu’ils osent s’opposer à cette gauche radicale…
On se dira qu’il s’agit là d’un épiphénomène, que cela n’est le fait que d’une minorité et que cela n’est pas très grave. C’est se tromper. Car si ces « « twitteux en folie et internautes déchaînés », comme les qualifie le philosophe et historien Marcel Gauchet (entretien à Libération, 17 juin 2015), se croient autorisés à insulter des journalistes (je parle ici de la profession qui est la mienne) qui ne font que leur travail, c’est parce que cette haine est validée par des politiques (la famille Le Pen et consorts, Jean-Luc Mélenchon pour ne citer que les plus tristement célèbres) qui dénoncent sans cesse des journalistes « aux ordres », mais aussi des intellectuels, comme l’économiste Frédéric Lordon, dont les articles sont autant d’appels répétés à la haine (et je suis l’une de ses cibles favorites).
Envoyer les journalistes à la décharge
Ainsi, Lordon a écrit une interminable chronique sur son blog du Monde Diplomatique à propos d’un selfie ironique que Leparmentier et moi-même avons posté le 2 juillet sur Twitter pour nous moquer des excités du clavier qui nous poursuivaient (je revendique le droit à l’humour et à la dérision, oui, oui). Il nous qualifie avec sa délicatesse habituelle « d’ahuris » aux « regards béats et satisfaits » avant d’inviter ses lecteurs à nous mettre à la « décharge », avec ce que cela sous-entend quand on connaît les « réalisations » de la gauche radicale, par exemple au Cambodge : « Têtes politiques en gélatine, experts de service, journalisme dominant décérébré, voilà le cortège des importants qui aura fait une époque. Et dont les réalisations historiques, spécialement celle de l’Europe, seront offertes à l’appréciation des temps futurs. Il se pourrait que ce soit cette époque à laquelle le référendum grec aura porté un coup fatal. Comme on sait, il faut un moment entre le coup de hache décisif et le fracas de l’arbre qui s’abat. Mais toutes les fibres commencent déjà à craquer.
Maintenant il faut pousser, pousser c’est-à-dire refaire de la politique intensément puisque c’est la chose dont ils ignorent tout et que c’est par elle qu’on les renversera. L’histoire nous livre un enseignement précieux : c’est qu’elle a des poubelles. Il y a des poubelles de l’histoire. Et c’est bien. On y met les époques faillies, les générations calamiteuses, les élites insuffisantes, bref les encombrants à oublier. Alors tous ensemble, voilà ce qu’il faudrait que nous fassions : faire la tournée des rebuts, remplir la benne, et prendre le chemin de la décharge ». En quelques phrases glaçantes, tout est dit.
Cette volonté d’éradiquer, au sens propre, des journalistes qui seraient l’incarnation du libéralisme honnie, on la retrouve aussi sur des sites spécialisés dans la « critique » des médias comme Acrimed ou Arrêt sur Images qui se sont fait une spécialité de clouer au pilori ceux qui ont le malheur de ne pas être « antilibéraux » ou anti-européens (pour ne pas être en reste, je signale que l’extrême droite a créé son propre « Observatoire des journalistes et de l’information médiatique »). Cette aversion se retrouve dans un hebdomadaire parisien comme les Inrockuptibles dont un chroniqueur vient de dénoncer (avec notre photo à l’appui, style « liste rouge ») la « suffisance » et « l’arrogance » de notre selfie humoristique, justifiant, citations de Lordon à l’appui, « la détestation du journalisme à la botte de Bruxelles ». En clair, nous n’avons qu’à nous en prendre à nous même si nous nous faisons ainsi trainer dans la boue.
Le procès qui nous est fait ne se base évidemment pas sur des faits, puisqu’on est dans l’ordre de la diabolisation visant à la disqualification. Comme dans les procès totalitaires, on ne va pas laisser les faits stopper une condamnation ! Mes contempteurs sont bien en peine de faire la même chose. Aucun de mes articles, aucune de mes notes de blog n’est jamais cité. Et pour cause. J’agace, car je dis ce qui est et non ce qui devrait être. J’agace quand j’ose rappeler que la dette grecque n’est pas tombée du ciel, que tous les Grecs en ont profité et que ce n’est pas l’euro qui a mis le pays à genoux, mais sa classe politique très démocratiquement élue. Alors on se rabat sur mes tweets : en annonçant la faillite de la Grèce pour le 30 juin, je manifesterais une « joie mauvaise » (Lordon). En utilisant le #Grexit, je militerais pour la sortie de la Grèce de la zone euro alors que j’écris l’exact contraire depuis 2010 ; surtout ce # est utilisé par l’ensemble de la presse (y compris Guillaume Duval, le patron d’Alternatives économiques…). Je raconte que des jeunes hurlent leur joie le soir du non au référendum en agitant des drapeaux au volant d’une Porsche Cayenne, je sous-entends que les Grecs sont « des voleurs de poules ». Je dis que la place Syntagma n’est pas pleine le soir du 5 juillet, je suis accusé de mentir, images de la télévision russe RT à l’appui… Je dirais quelques jours plus tard la même chose pour la manif pro-oui, sans que cela ne soulève de protestations des pro-européens et des « libéraux ». Comme on le voit, on est dans le procès d’intentions. Un déferlement émotionnel auquel il est impossible de répondre. Que voulez-dire quand on vous accuse « de ne pas aimer les Grecs » ou d’être l’ennemi de la démocratie ou d’être l’ami des banquiers ?
La revanche du café du commerce
Ce phénomène de disqualification de ceux qui pensent mal a toujours existé en France : « mieux vaut avoir tort avec Sartre que raison avec Aron », clamait ainsi stupidement une certaine gauche au siècle dernier (avec prescience, on l’a vu…). Mais il a pris une autre ampleur à l’ère numérique. L’heure de la revanche du café du commerce a sonné : des propos qui ne quittaient pas le zinc ou la machine à café peuvent désormais être portés à la connaissance d’un large public via les réseaux sociaux. Il ne s’agit pas de regretter le bon vieux temps et de nier que le net permet l’avènement d’une société du savoir ! Mais, comme l’imprimerie a permis la diffusion des livres les plus nauséabonds, le net et les plates-formes style Twitter ou Facebook véhiculent le pire avec une efficacité démultipliée. Les groupes extrémistes l’ont parfaitement compris.
Autre phénomène nouveau apparu avec le net : tout le monde a le sentiment d’être sur un plan d’égalité avec son interlocuteur, ce qui n’est évidemment pas le cas. Poser une question, partager une réflexion avec un philosophe, un physicien, un politique est devenu possible. Mais cette proximité nouvelle et bienvenue ne veut pas dire que toute parole se vaut. Ainsi, un journaliste, lorsqu’il écrit un article, publie une note de blog ou tweete, fait son métier. Il donne de l’information ou fait une analyse basée sur une connaissance intime d’un sujet. Il a recueilli des faits, rencontré des acteurs et livre son travail au public. Ceux qui le prennent à partie en vociférant le font avec leur sentiment et leur passion, sans fait à leur disposition. Par exemple, lorsque je dis qu’il y a peu de monde dans une manifestation à laquelle j’assiste, c’est un fait. Quand un internaute me dit à 3000 km de là que c’est faux, c’est irrationnel. Si je dis qu’Athènes est mise sous tutelle par la zone euro, c’est un fait, pas une réjouissance. Si je dis que Syriza s’est planté, c’est une analyse qui appelle une réfutation, pas une insulte. La Grèce est un très bon exemple de cette fausse horizontalité qui créé une cacophonie excluant tout débat : tout le monde a un avis sur le sujet, sans doute pour y avoir passé 15 jours de vacances, mais personne n’a enquêté sur ce pays (sauf d’autres journalistes et de rares économistes). On « croit » savoir, on ne sait pas. Pas plus que je ne sais, autrement que par mes lectures, ce qui se passe en Chine ou en Russie (et je me garde bien de commenter des sujets que je ne connais pas).
Pourtant, grâce au net, ceux qui estiment avoir quelque chose à dire peuvent écrire des articles, faits à l’appui, trouver leurs lecteurs et ainsi ouvrir un débat qui pourrait être intéressant. Mais, outre qu’il est plus simple de cracher des insultes et de proférer des menaces, le débat n’est pas le but recherché. Au contraire, il s’agit de l’interdire, de décourager l’expression d’opinions divergentes, de mettre en place, par la violence des mots, une police de la pensée. Une minorité agissante, certes, qui donne une image déformée du monde, mais qui fait du bruit tant il est vrai que c’est la haine qui attire le regard, pas le débat serein. Quelques dizaines de tweets anonymes et c’est le peuple qui s’exprime, comme on peut le lire dans la presse…
Compatir et non comprendre
Si ce n’est pas la première fois que j’affronte la violence des réseaux sociaux (de DSK à « Bruxelles pas belle » en passant par mes démêlés avec le FN ou la gauche de la gauche), celle qui entoure la question grecque est intéressante en ce qu’elle est typique du fonctionnement de cette « hystérisation » du débat public que dénonce Gauchet : chacun est sommé de choisir son camp. Le soutien au peuple grec souffrant, forcément victimes des banques, de l’euro et de l’Europe, ne tolère pas la nuance. Blanc ou noir, surtout pas de gris. Il faudrait presque commencer chaque tweet, chaque article, par : « je compatis aux terribles souffrances du peuple grec » pour ne pas être soupçonné de racisme anti-grec, de mépris de classe, de suffisance, d’arrogance, bref d’être du côté des Allemands et de leurs alliés Finlandais, Baltes, Slovaques, de tous ces peuples indignes de la démocratie. Cela me rappelle la fin des années 70 où, avant de s’émouvoir des conditions de détentions des terroristes d’extrême gauche, chacun était sommé de prendre d’abord ses distances avec le terrorisme… Cette nouvelle version du « camarade, choisi ton camp », est bien pratique : tout ce qui ne va pas dans le sens que l’on pressent être « juste » est disqualifié.
Pas actuellement, car là on serait dans le débat, mais émotionnellement, par l’insulte. La compassion a remplacé la compréhension.
Marcel Gauchet dénonce à raison « l’irruption de la culture du ressentiment et de la haine qui fleurit dans l’univers numérique » :
« Il y a une surréaction émotionnelle à des événements ou des propos publics d’importance très relative, une disproportion théâtrale des arguments » de la part de « Twitteux en folie et d’internautes déchaînés ». « Dans cette joyeuse ambiance, il est impossible de discuter de façon sereine, argumentée et respectueuse. Débattre de l’Europe ou de l’islam est une hérésie à proscrire par la vocifération, le procès d’intention et la disqualification morale. La maladie française, c’est le refoulement hystérique de ce qui devrait être sur la table commune. » Et de conclure avec justesse : « il faut de la contradiction, c’est sûr. Mais laquelle et comment ? Il y a une manière de s’engueuler qui fait reculer tout le monde en s’enferrant dans des oppositions stériles. L’art de l’engueulade constructive, voilà ce dont nous avons besoin. Il n’est pas au rendez-vous. » Le seul moyen que j’ai personnellement trouvé, c’est de modérer a priori les commentaires sur mon blog pour écarter ceux qui ne développent pas une argumentation afin de créer un espace de qualité (et c’est une réussite) et de bloquer les fâcheux sur Twitter pour ne plus entendre leur vocifération.
N.B.: J’ai supprimé des exemples d’agressions le tweet de Vincent Glad qui me fait savoir de la régie que son référendum sur mon éventuelle exclusion de la zone twitto était de l’humour. Je lui avais posé la question à l’époque, mais je n’avais pas eu de réponse. Dont acte!