Etonnant, non? Certes, un peu gêné aux entournures, il cite ses propos, qu’il approuve des deux mains, mais pas le nom de celui qui les a prononcés: des fois que les moteurs de recherche associeraient Schneidermann et Philippot, sans doute… Il faut cliquer sur le lien hypertexte pour découvrir qu’une nouvelle étape a été franchie dans le grand rapprochement entre les europhobes de tous bords, ceux-ci voyant dans la construction européenne la destruction de l’Etat «louisquatorzième» seul capable de régler, tel un menuet, l’économie.
L’Europe, me direz-vous, quel rapport? Il y a déjà eu, dans le passé, des ventes d’actifs par l’Etat, des privatisations, des nationalisations.
Figurez-vous, que, selon Schneidermann, cette vente aurait été quasiment imposée par «l’ogre bruxellois» qui exige la réduction du déficit public français (vous savez, ce déficit qui aliment une dette de plus en plus insoutenable). C’est faux, bien sûr: «Bruxelles» n’a rien demandé de tel. Schneidermann oublie aussi à dessein que ces règles européennes ont été votées par la France et pas imposées par une armée d’occupation.
Ce papier est honteux parce que dès qu’il s’agit d’Europe, Schneidermann se croit autorisé à dire n’importe quoi. Honteux, aussi, car il donne à penser que le FN ne pose pas seulement les bonnes questions, comme le disait en 1986 Laurent Fabius, mais apporte aussi les bonnes réponses. Je me préparais à y répondre, un exercice d’autant plus nécessaire que Schneidermann signe dans mon journal, lorsque l’un des internautes les plus fidèles de ce blog, Toral, a posté un long commentaire sur le sujet sous un article qui n’avait rien à voir. Son analyse est remarquable et j’ai donc décidé de la mettre à l’honneur (en l’amputant d’une attaque personnelle qui n’est pas nécessaire). Soyons clairs: je considère que Schneidermann, même s’il n’y connaît rien en économie comme il le reconnaît lui-même, a parfaitement le droit de critiquer la vente d’une partie du capital de Safran. Mais il aurait dû le faire en faisant son travail de journaliste (et dieu sait s’il donne des leçons en la matière) et non pas en faisant du pur café du commerce en alignant généralités et contre-vérités, un exercice qui aboutit à l’inévitable conclusion maintes fois entendue dans les bars : avec le FN, ça ne se passerait pas comme ça! L’ignorance, voilà le vrai carburant du FN.
Le Front national défenseur des intérêts économiques de la France
Toral :«Daniel Schneidermann passe le plus clair de son temps à se chercher des cibles ou des boucs émissaires sur lesquelles exercer sa vindicte, exercice dangereux qui peut vous conduire dans certains cas à vous acoquiner avec des individus fort peu recommandables. En l’occurrence, c’est bien ce qui s’est passé puisque Schneidermann en arrive à désigner le Front national, même si on ne peut douter qu’il le déplore, comme le meilleur défenseur des intérêts économiques et stratégiques de la France dans l’affaire de la cession par l’État de 4% du capital de Safran.
«Le créateur d’Arrêt sur Images a cru visiblement trouver là une nouvelle occasion de flétrir l’inanité supposée de «l’ogre» (sic) européen et la servilité du gouvernement français ; celui-ci aurait pris en effet «une décision stupide pour complaire à Bruxelles». Sur quoi s’appuie Schneidermann, puisqu’il reconnaît lui-même qu’il n’y connaît rien ? Sur l’opinion de François Lenglet (France 2) et une déclaration de M. Florian Philippot. C’est tout de même un peu maigre et le journaliste, s’il avait simplement fait son métier, par exemple en se livrant à quelques recherches, se serait rapidement rendu compte que la position nationaliste, imbécile et démagogique du Front national sur «l’affaire» Safran est une escroquerie, comme c’est d’ailleurs toujours le cas s’agissant des déclarations émanant de ce parti. Et non seulement Schneidermann n’a pas fait son travail, mais de surcroît il ment, qualifiant de «tour de passe-passe budgétaire» (sic) ce qui n’est rien d’autre que la gestion parfaitement habituelle et banale par un État de son portefeuille de participations industrielles (note de JQ: voir ici, par exemple).
«Philippot a déclaré le 3 mars :»Le gouvernement poursuit sa politique folle de désengagement des fleurons français, aussi incompréhensible politiquement qu’économiquement.L’armement et l’aéronautique sont en effet des secteurs stratégiques. La France y concentre ses intérêts les plus fondamentaux, et d’abord ceux liés à son avance technologique, qui doit impérativement être protégée. D’un point de vue économique, il est incompréhensible de se séparer d’entreprises aussi rentables, à l’image de Safran, qui versent chaque année à l’État des dividendes colossaux«. Pour le conseiller municipal de Forbach (Moselle),»dégager un milliard d’euros, une fois, par la vente d’actions est donc une faute très lourde, surtout lorsque l’on prétend par là financer le désendettement de la France. Ce n’est pas en privant la France de ses revenus qu’elle pourra se désendetter.«
«Sur le contrôle par l’État français des entreprises nationales d’aéronautique et d’armement : »1)
L’État détenait avant cette opération de cession 22% du capital de Safran et 25,5% des droits de vote. Les salariés en détiennent 14,4%et 21,8%. Après la cession, l’État en détiendra donc 18%. Il n’y a pas besoin d’être un spécialiste des marchés financiers pour se rendre compte que cela ne changera strictement rien à la marge d’action de l’État français sur les choix stratégiques de l’entreprise, essentiellement au travers de son poids déterminant dans la nomination de ses dirigeants ;
«2) Au fait, c’est donc si important que cela, la présence de l’État au capital des entreprises d’armement, d’aéronautique et d’aérospatiale ? Alors comment se fait-il qu’il ne détienne que 27% du capital de Thalès (Dassault Aviation : 26%), 11% du capital d’Airbus, et … 0% du capital de Dassault ? Comment expliquer que l’État britannique ne soit même pas actionnaire de la première entreprise européenne de défense et d’aérospatiale, la société BAE Systems ? Tout simplement parce que, comme le démontre également l’absence totale de l’État américain au capital des entreprises U.S. dans ce secteur, la présence de l’État au capital n’apporte strictement rien aux performances de ces sociétés, pas davantage qu’à une prétendue protection de leur «avance technologique». Ce serait même plutôt le contraire.
«Sur le plan politique et stratégique, se scandaliser de la cession de 4% (!) du capital de Safran est donc une imposture. Qu’en est-il donc de l’argument économique ? «Dividendes colossaux» de Safran versés à l’État selon Philippot, qui ajoute que «Ce n’est pas en privant la France de ses revenus qu’elle pourra se désendetter.»
«1) En vendant 4% du capital de Safran, l’État français se prive de la somme faramineuse de … 20 millions d’euros de dividendes, sur la base des chiffres de l’année 2014 (en fait, il semblerait que ce soit encore moins, note de JQ: lire ici).
Soit 0,009% du montant de ses recettes budgétaires. Il est clair que l’on se prive ainsi de moyens financiers considérables pour le désendettement du pays ; en revanche et pour être sérieux, 1,2 milliard d’euros, ce ne sont pas exactement des cacahuètes ;
»2) Au fait quel est le rendement de l’action Safran pour un actionnaire lambda ? Hé bien, un dividende d’1,12€ en 2014, par rapport à un cours actuel de l’action de l’ordre de 64€, cela correspond à un rendement de 1,75%. Waouh ! C’est combien déjà le taux de rémunération d’un plan d’épargne logement sans risque, comparé aux «dividendes colossaux» de l’action Safran ?
«3) Dernière question : L’État français a-t-il fait une affaire si calamiteuse, en termes de plus-value, en choisissant cette période pour alléger sa position sur Safran ? La question n’a en réalité pas beaucoup de sens puisque l’entreprise étant le résultat de la fusion de plusieurs sociétés avec la Snecma, dont l’État était un actionnaire historique, on ne saurait trop à quel cours d’achat des actions se référer pour calculer une plus ou moins-value. On peut néanmoins constater que l’entreprise Safran est née en 2005 de la fusion de la Snecma et de la Sagem, que le cours de l’action Safran cette année-là évoluait aux alentours de 18€, et qu’aux niveaux actuels de 60 à 65 euros, elle est à ses plus hauts historiques.
«Comme quoi M. Schneidermann, si vous tenez absolument à vous en prendre à «Bruxelles», vous mêlant ainsi au troupeau bêlant qui accuse l’Europe de tous les maux et apportant de manière irresponsable votre caution aux insanités du Front national, cela ne vous empêche pas pour autant de faire votre travail correctement. Vous trouverez peut-être ainsi de meilleurs prétextes».
Difficile d’ajouter quoi que ce soit, non?