Un premier pas diplomatique a été franchi.
Salim Lamrani, universitaire, spécialiste des relations entre les Etats-Unis et Cuba, revient sur la décision prise par Barak Obama et Raul Castro, le 17 décembre dernier. Beaucoup de questions restent en suspens.
Docteur ès Etudes Ibériques et Latino-américaines de l’Université Paris IV-Sorbonne, Salim Lamrani est également maître de conférences à l’Université de La Réunion, et journaliste, spécialiste des relations entre Cuba et les Etats-Unis. Il revient sur le contexte géopolitique existant entre Cuba et les Etats-Unis avant les annonces de cette semaine concernant un rapprochement entre les deux pays et entrevoit quelques pistes pour une véritable normalisation des relations.
Les annonces de ce 17 décembre 2014 doivent-elles être considérées comme des surprises ?
La reprise du dialogue entre les deux pays est historique dans la mesure où elle met un terme à plus d’un demi-siècle de relations conflictuelles. La politique d’hostilité des Etats-Unis vis-à-vis de Cuba est anachronique car elle remonte à la Guerre froide.
L’état de siège économique est également cruel puisqu’il affecte les catégories les plus vulnérables de la population. Enfin, les sanctions sont inefficaces vu que l’objectif d’obtenir un changement de régime n’a pas été atteint. Au contraire, elles ont isolé Washington sur la scène internationale.
Les décisions du côté cubain sont-elles à ranger dans le cadre des autres réformes entrées en vigueur depuis plusieurs années ?
Dès le triomphe de la Révolution cubaine en janvier 1959, Cuba a toujours fait part de sa volonté d’entretenir des relations normales et apaisées avec les Etats-Unis, à condition qu’elles soient basées sur la réciprocité, l’égalité souveraine et la non-ingérence dans les affaires internes. Il y a toujours eu une constance à ce sujet de la part de La Havane.
Il convient de rappeler que l’hostilité est unilatérale. Ce sont les Etats-Unis qui ont rompu les relations avec Cuba en janvier 1961 et qui n’ont eu de cesse d’adapter leur rhétorique diplomatique pour justifier le maintien de cet état de siège. Au départ, Washington a tenté d’expliquer sa politique agressive à l’égard de La Havane officiellement en raison du processus de nationalisations et expropriations qui affectait ses intérêts. Puis ensuite, on a mis en cause l’alliance avec l’Union soviétique.
Dans les années 1970-1980, ce fut la solidarité cubaine avec les mouvements révolutionnaires et indépendantistes d’Amérique latine, d’Afrique et d’Asie qui fut mise à l’index.
Après la chute du mur de Berlin et la disparition de l’URSS, les Etats-Unis, au lieu de normaliser les relations avec La Havane, ont au contraire procédé à une recrudescence des sanctions économiques, brandissant cette fois l’argument de la présence de Fidel Castro et de Raúl Castro au pouvoir.
Cuba a toujours dit qu’il était prêt à discuter avec les Etats-Unis sur la base du respect mutuel. Mais comment expliquer le changement de position des Etats-Unis?
Le président Barack Obama a fait un constat lucide à propos de la politique actuelle des Etats-Unis vis-à-vis de Cuba. Washington a échoué sur toute la ligne car Cuba n’a pas renoncé à son projet de société et consolide son processus socialiste en le rendant plus efficace et en l’adaptant aux nouvelles réalités. Washington est isolé à tous les niveaux sur la question cubaine.
La communauté internationale est favorable à une normalisation des relations entre les deux pays et condamne fermement la politique de sanctions. En octobre 2014, pour la 23ème année consécutive, 188 pays – y compris les plus fidèles alliés des Etats-Unis – ont voté en faveur de la levée des sanctions économiques contre Cuba. L’Amérique latine est unanime dans son exhortation à libérer Cuba de l’état de siège qui l’étouffe depuis plus d’un demi-siècle. L’Amérique latine a menacé de boycotter le prochain Sommet des Amériques de 2015 en cas d’absence de Cuba.
Dans les années 1960, Cuba était isolée sur le continent américain. Seul le Canada et le Mexique disposaient de relations avec La Havane. Aujourd’hui, La Havane entretient des relations diplomatiques et commerciales avec tous les pays du continent, à l’exception des Etats-Unis. En persistant à appliquer une politique absurde et obsolète, Washington s’est isolé du monde.
Par ailleurs, au niveau national, l’opinion publique des Etats-Unis, à près de 70% selon un sondage de CNN, est favorable à la normalisation des relations avec Cuba.
Le peuple étasunien ne comprend pas pourquoi il peut voyager en Chine, principal adversaire politique et commercial des Etats-Unis, au Vietnam, pays contre lequel Washington a été en guerre pendant près de 15 ans, et en Corée du Nord, qui dispose de l’arme nucléaire, mais pas à Cuba, qui n’a jamais agressé les Etats-Unis de son histoire, et qui constitue une destination touristique naturelle pour des raisons historiques et géographiques évidentes.
La communauté cubaine des Etats-Unis est favorable à 52% selon une étude à un rapprochement bilatéral car elle aspire à des relations apaisée avec sa patrie d’origine et souhaite que les Cubains de l’île vivent dans le bien-être, sans être victimes de sanctions.
De la même manière, le monde des affaires étasunien est partisan de la levée des sanctions contre Cuba, car il voit un marché naturel de 11,2 millions d’habitants prêt à être investi par l’Amérique latine, l’Europe, le Canada et l’Asie.
Tous ces facteurs ont amené Washington à infléchir sa position et à adopter une approche plus constructive et rationnelle.
Les défaites électorales successives de Barack Obama et la fin prochaine de son mandat peuvent-elles expliquer ce revirement ?
La réalité constitutionnelle a peut-être joué un rôle. En effet, Barack Obama en est à son deuxième mandat présidentiel et il ne peut plus se représenter.
Mais, il me semble qu’il s’agit surtout d’une prise de conscience de l’isolement croissant des Etats-Unis sur la scène internationale sur la question cubaine, et de l’échec patent d’une telle politique agressive.
Quelles seront les réactions sur l’île ?
Cuba a accueilli avec joie le retour de ses trois compatriotes Antonio Guerrero, Gerardo Hernández et Ramón Labiñino, qui purgeaient des peines de prison sévères, pour avoir tenté de neutraliser les groupuscules terroristes de l’exil cubain qui avaient causé la mort de plusieurs personnes en réalisant des attentats à la bombe. Il s’agissait véritablement d’une cause nationale à Cuba et le maintien en détention de ces personnes constituait le principal obstacle à la normalisation des relations entre Washington et La Havane. Le peuple cubain, qui a toujours eu un lien spirituel très fort avec le peuple étasunien, a accueilli la nouvelle du rétablissement des rapports bilatéraux avec satisfaction.
Peut-on s’attendre à d’autres avancées ?
Le rétablissement des relations diplomatiques est un premier pas indispensable. Néanmoins, il reste insuffisant. Les Etats-Unis doivent d’abord lever les sanctions économiques contre Cuba. Obama peut faire jouer ses prérogatives en tant que président en permettant par exemple aux touristes étasuniens de se rendre librement à Cuba. Cela signerait la fin des sanctions contre Cuba, car le Congrès ne résisterait pas aux pressions du monde des affaires et serait contraint d’abroger les lois sur le blocus.
Ensuite, Washington doit également accepter la réalité d’une Cuba différente, indépendante et souveraine et cesser ses politiques hostiles destinées à déstabiliser le pays en finançant une opposition interne.
Enfin, il doit mettre un terme à l’occupation illégitime de Guantanamo et mettre hors d’état de nuire les secteurs extrémistes de l’exil cubain de Floride qui n’ont pas renoncé à la violence terroriste.
Source : La Marseillaise.
Écrit par Sébastien Madau L’utilisation de l’article, la reproduction, la diffusion est interdite – LMRS – (c) Copyright Journal La Marseillaise