Les chiffres émanant de statistiques officielles peuvent-ils suffire pour combattre un sentiment que l’on juge erroné? Une réalité objective ou du moins objectivée fait-elle ignorer une construction imaginaire et parfois même inconsciente produite par des représentations déjà orientées par d’autres points de vue?
Hier dans On n’est pas Couché, Aymeric Caron et Natacha Polony se sont retrouvés dans une ambiance tendue. Aymeric Caron souhaitait mettre à mal les opinions de Polony en s’appuyant sur des statistiques qui montraient par exemple qu’il n’y avait pas moins de prisonniers dans les prisons et que même ceux ayant eu deux ans de prisons ou moins étaient enfermés … Qu’il n’y avait pas eu non plus d’augmentation d’actes d’incivilité, alors que Polony pointait l’augmentation du sentiment d’insécurité pour justifier ses positions idéologiques. Il faut être simpliste pour croire comme le fait avec beaucoup de vanité Aymeric Caron que les chiffres (réels ou supposés comme tels car ils sont déclarés officiellement) permettraient de lutter contre une émotion, un sentiment, ou un pressentiment…
Certes les chiffres sont intéressants et parfois pertinents, mais ils ne vont jamais permettre à eux seuls d’éliminer un éventuel sentiment d’insécurité, d’invasion des immigrants même si c’est tout à fait erroné dans la réalité du quotidien… La preuve en est quand on observe les taux réalisés par le FN dans certains départements où l’insécurité et l’immigration sont pourtant faibles voire parfois inexistantes et pourtant le sentiment est fort par simple projection (peur de voir des immigrés arriver et de voir l’insécurité augmenter ; pourtant cette peur n’est jamais qu’imaginaire)… On ne parle pas de la même chose en réalité… Les uns estiment que les chiffres suffiraient à prouver qu’une affirmation serait fausse (or dans un principe d’interprétation, seuls les idéologues seront convaincus par ce procédé intellectuel), tandis que les autres essaient de démontrer que ce qui est psychologique et émotionnel impacte sur l’image, la vision d’une réalité, la déformation éventuelle qu’elle engendre… et génère alors des peurs, des angoisses, des comportements de repli et de crispation qui alimentent certains partis extrémistes… Aucun des deux a raison ni tort…
Comment jauger et a fortiori juger un sentiment? Manque-t-il de légitimité parce que des arguments intellectuels le contrediraient? La cohabitation avec la peur ou les sentiments associés suppose un travail de fond où la réflexion intellectuelle n’est pas la seule à entrer en ligne de compte. Nos représentations sont un héritage de représentations extérieures : médiatiques, de nos voisins, de nos amis, de notre famille, etc et c’est bien là que tout se joue ; dans la capacité à se mettre à distance et à jauger ce qui nous appartient et ce qui appartient aux autres….