Il faudra plus qu’une échoppe évanouie derrière des colonnes de fumée pour que Dante Hicks et Randal Graves enterrent le passé. Pour que ces deux irréductibles branleurs se décident enfin à prendre le contrôle de leur existence, jusque-là lâchement laissée en jachère. Pour que l’insouciance oisive qui rythme leur quotidien s’éteigne sous le feu d’un renouveau inespéré.Si le décor change, les errements restent. Clerks II a beau se parer de couleurs et migrer vers le milieu de la restauration rapide, il ne se départit pas pour autant de ses deux adulescents dédaigneux, aujourd’hui trentenaires et toujours amarrés à l’inachèvement. Leurs pérégrinations donnent le la : décrochages burlesques, tirades bien grasses et personnages hauts en couleurs, auprès desquels le non-sens et l’obscénité trouvent une résonance toute particulière.
Moins statique que son prédécesseur, mais identiquement irrévérencieux, Clerks II mêle ses deux antihéros à des collègues incongrus pétris de fêlures, faisant de leur espace commun le théâtre de toutes les absurdités, d’une indicible chienlit constituée de causeries incommodes et de corps grossièrement travestis. On y conchie les clients, brocarde Anne Frank, la Bible ou l’institution du mariage, et questionne l’existence au détour de joutes verbales animées, de badinage amoureux, d’une paternité inattendue, de l’opulence ostentatoire d’un « cornichon brun » ou encore d’obscures déviances sexuelles (l’anus à bouche, la fellation dispensée à un âne).
Loin d’exorciser ses démons, Kevin Smith travaille les immatures et les marginaux à la truelle. Sa satire exhibe des dealers clownesques et une faune locale saugrenue, souvent névrosée, occasionnellement hystérique. Dante Hicks y cocufie une fiancée à poigne, figure autoritaire caractérisée par un clitoris démesuré. Les deux comédiens Brian O’Halloran et Jeff Anderson s’y épanchent à perte de vue en laïus divagants, aboutissant tant à la culture populaire (Transformers, Le Seigneur des anneaux) qu’à la zoophilie, l’homophobie, l’urinophobie ou encore le racisme. Le tout avant d’opérer un étonnant retour vers le passé, recouvrant le noir et blanc à la faveur d’un long travelling arrière, renvoyant aux Employés modèles, et nous rappelant que rien n’a vraiment changé. Ni l’insolence ambiante, ni le refus de grandir.