- « Astérix. Le Domaine des dieux », film d’animation de Louis Clichy
NEWS NEWS NEWS Dans sa campagne de novembre « Fiers de la France », où le gouvernement applaudit les réussites françaises, le cinéma d’animation a été oublié. Cette industrie est pourtant la troisième productrice de films au monde, derrière le Japon et les Etats-Unis, et la première d’Europe – elle assure 40 % de la production du continent, a réalisé entre cinq et dix films par an depuis dix ans et produit 355 heures annuelles de programmes de télévision en 2011 et 2012.
« Assez de French bashing, s’émeut Yves Portelli, le directeur de l’école des Gobelins. La France dispose d’un tissu serré de formations de haut niveau en animation, réputées dans le monde entier. » On compte en effet, d’après un rapport du magazine L’Etudiant daté de mai, 67 écoles de cinéma d’animation dans le pays, dont 24 se sont regroupées dans un réseau d’excellence soutenu par le Centre national du cinéma (CNC). Elles ont formé une vague de réalisateurs qui ont donné ces quinze dernières années de grands succès hexagonaux, parfois même internationaux.
On se souvient de Kirikou et la sorcière, de Michel Ocelot, produit en 1998 par Les Armateurs : le film fait 1 million d’entrées à sa sortie en France, puis séduit un public étranger. C’est le déclic. Cette réussite décide de nombreux producteurs nationaux à investir dans l’animation, et contribue à la création de nombreux studios et start-up. Les Armateurs produisent ensuite Les Triplettes de Belleville, de Sylvain Chomet (prix Lumières 2004, 900 000 entrées), Ernest et Célestine, de Benjamin Renner (César en 2013, vendu dans 25 pays), et les deux suites de Kirikou, en 2005 et 2012.
Sur cette lancée, le studio parisien Mac Guff coproduit, en 2006, Azur et Asmar, de Michel Ocelot, qui fait 1,5 million d’entrées. En 2010, ce studio conçoit, à Paris, Moi, moche et méchant, coréalisé par Pierre Coffin, un ancien des Gobelins. Le personnage de l’horrible gentil, Gru, attire 3 millions de spectateurs. La suite, Moi, moche et méchant 2, décroche l’Oscar 2014 du film d’animation. La valse des prix est impressionnante. En 2007, l’adaptation de Persepolis, de Marjane Satrapi, se voit décerner le prix spécial du jury à Cannes. Le Chat du Rabbin (2011), adapté de la bande dessinée de Johann Sfar, Le Tableau (2011), de Jean-François Laguionie, Zarafa (2012), de Rémi Bezançon et Jean-Christophe Lie sont nominés aux Oscars 2013 – que Le Chat du Rabbin emporte.
Ombre au tableau
Une ombre à ce tableau : en dépit de l’immense succès, en 2006, d’Arthur et les Minimoys 1, de Luc Besson, qui a dépassé les 6 millions d’entrée, en France, la série échoue aux Etats-Unis. Tout comme Un monstre à Paris, d’Eric Bergeron (2011), produit aussi par Besson : le film séduit ici, pas en Amérique. Déficitaire, Besson doit fermer sa filière animation. Malgré tout, d’après le rapport 2012 d’UniFrance, organisme chargé de la promotion du cinéma national, les réussites à l’international sont légion : les 51 films d’animation français réalisés ces dix dernières années ont fait à peu près autant d’entrées en France qu’à l’étranger – respectivement 37,4 millions et 34,5 millions.
Comment expliquer ce succès grandissant ? Selon UniFrance, on peut parler d’une French touch qui a su s’imposer sur le marché mondial. Hélène Beau, professeure aux Gobelins, parle d’« une belle manière de raconter des histoires » apprise dans les écoles françaises. « En plus des cours sur l’histoire de la photographie et du cinéma, les cours de littérature comptent beaucoup. Les élèves apprennent l’art du récit sans se contenter des recettes classiques. Aujourd’hui, à la différence des studios américains, ils font évoluer le genre, s’intéressent à des personnages et à des histoires tout public, pas seulement pour les enfants. » Elle rappelle que des films « adultes » comme Persepolis (2007, sur l’Iran répressif), Valse avec Bachir, d’Ari Folman (2008, sur le massacre de Sabra et Chatila), ou Funan, de Denis Do (2012, sur les Khmers rouges) ont été coproduits et animés par des studios français.
Aux yeux de l’enseignante, la grande qualité et la diversité de la bande dessinée française jouent aussi. D’ailleurs, plusieurs studios d’animation très actifs (Blue Spirit, Prima Linea, Les 3 Ours…) sont implantés à Angoulême, ville phare du 9e art.
Un extrait de Persepolis de Vincent Paronnaud et Marjane Satrapi (2007)
«La touche française »
D’après Yves Portelli, directeur des Gobelins, la touche française se nourrit du souci de son école de « former des honnêtes hommes du XXIe siècle, à la fois férus de technologie et imprégnés de culture. C’est pourquoi la formation des élèves dure maintenant quatre ans, et que j’ai fait ajouter l’histoire de l’art au cursus ». Enfin, selon Jerzy Kular, directeur de Supinfocom Rubika, la plus fameuse des écoles d’animation avec les Gobelins, les jeunes réalisateurs français doivent leur originalité à « un niveau relativement élevé de conscience esthétique », du fait de l’environnement architectural et culturel dans lequel baignent les élèves.
Du côté des réalisateurs, pour Alexandre Heboyan, dont le premier long-métrage Mune, un conte écologiste fantastique, sort en 2015, « la French touch, c’est l’excellence de la qualité, plus de la profondeur et de la poésie ». Quant à Louis Clichy, coréalisateur du film Le Domaine des dieux, il explique : « La French touch, c’est vouloir surprendre, se différencier des grands standards du cinéma américain. »
Coproductions internationales
Si chacun a sa définition de la french touch, tous reconnaissent que l’exception française vient aussi du système d’aides au cinéma, un système que « tous les pays nous envient », affirme le directeur des Gobelins. Aux avances sur recettes du CNC, il faut ajouter les obligations d’investissement et de diffusion faites aux chaînes de télévision, le nouveau dispositif de crédit d’impôt et le statut d’intermittent du spectacle. « Ces dispositifs ont encouragé un tissu d’entreprises capables de constituer des catalogues et de figurer sur le marché international, estime René Broca, délégué général du Réseau des écoles françaises de cinéma d’animation. Leur santé demeure cependant précaire. » La dépendance aux avances du CNC les fragilise. Les performances du crédit d’impôt sont bien moindres qu’au Canada ou en Belgique. Il demeure compliqué de se financer sur le marché intérieur, ce qui oblige à des coproductions internationales.
A l’initiative de la Chambre de commerce et d’industrie Grand Hainaut, un futur haut-lieu de l’animation française va ouvrir à Valenciennes le 5 janvier 2015, qui témoigne de la vitalité de ce secteur. Baptisé la Serre Numérique, il comprend 17 000 m2 de locaux en zone franche, un amphithéâtre 3D, plusieurs studios high-tech et un hôtel d’entreprises. Les trois écoles Rubika d’animation, de jeux vidéo et de design industriel, ainsi que 15 start-up du numérique s’y installeront. Le projet de la Serre est de les placer au cœur d’un vivier industriel et créatif.
La Serre numérique
Pour le directeur de la Chambre Commerciale du Grand Hainaut, Francis Aldebert, la Serre sera « un outil technologique et un produit d’appel unique en Europe ». « L’association de nos trois écoles avec des start-up et des labos de recherches va susciter une dynamique de création numérique et ouvrir sur des branches d’avenir comme la prévisualisation des effets spéciaux ou la narration d’une histoire sur plusieurs supports, explique Jerzy Kular, de Rubika. Peu de diplômés restent aujourd’hui en région ou en France, faute d’opportunités professionnelles. Avec la Serre, ils vont pouvoir se lancer dans l’entrepreneuriat. » Francis Aldebert se dit cependant inquiet de la lenteur des réformes administratives. Le côté sombre de la French touch ?
À LIRE « Esthétique du cinéma d’animation », de Georges Sifianos (Cerf, 2012). « Le cinéma d’animation », de Sébastien Denis (Armand Colin, 2011). « Le langage des lignes et autres essais sur le cinéma d’animation », de Marcel Jean (Les 400 Coups, 2007). « Astérix chez les philosophes ». (Philosophie magazine, numéro spécial de novembre (Editions Albert-René/Goscinny).