L-origine-du-Monde-censureLa fermeture du compte Facebook d’un enseignant français qui avait fait figurer sur sa page une photographie de L’Origine du monde de Gustave Courbet, au prétexte de son caractère prétendument « pornographique », avait légitimement ému le monde de l’art. Moins docile que l’artiste plasticien danois Frode Steinicke qui avait été victime d’une sanction identique pour le même motif (et avait même dû se fendre d’un acte de contrition ubuesque !), cet internaute décida de porter l’affaire devant les tribunaux.
Le réseau social s’était empressé de contester la compétence des juridictions françaises au prétexte que l’article 15 de la « déclaration des droits et responsabilités » que chaque internaute est tenu d’approuver pour ouvrir un compte – sans pouvoir en négocier le moindre terme -, attribuait, en cas de litige, seule compétence aux tribunaux situés dans le comté de Santa Clara, en Californie (Etat où se situe son siège mondial).
Or, dans son ordonnance du 5 mars 2015, le juge de la mise en état du TGI de Paris vient de statuer sur cette question. S’appuyant sur l’article L132-1 du Code de la consommation, qui définit les clauses abusives présentes dans les contrats liant professionnels et non-professionnels ou consommateurs, le juge y développe une argumentation aussi inédite que logique.
Pour lui, la clause attributive de compétence imposée par le réseau social à ses souscripteurs, obligeant ces derniers « à saisir une juridiction particulièrement lointaine et à engager des frais sans aucune proportion avec l’enjeu économique du contrat souscrit pour des besoins personnels ou familiaux », est « de nature à dissuader le consommateur d’exercer toute action […] et à le priver de tout recours » alors que, parallèlement, l’agence française de cette entreprise dispose des ressources financières et humaines lui permettant « d’assurer sans difficulté sa représentation devant les juridictions françaises. »
En conséquence, le juge déclare la clause en question « abusive » et « réputée non écrite » ; en outre, rejetant l’exception d’incompétence soulevée par le réseau social, il déclare le TGI de Paris compétent pour connaître du litige opposant l’internaute français et Facebook Inc.
Naturellement, cette décision ne préjuge en rien du problème soulevé par la suspension du compte du plaignant, pas plus qu’elle ne préjuge du caractère prétendu « pornographique » d’une œuvre d’art majeure librement exposée dans l’un des plus grands musées français. En revanche, elle permet au TGI de Paris de se prononcer sur ces faits dans une décision ultérieure qu’attendent autant les juristes que les amateurs et spécialistes de l’art.
Il est en effet surprenant qu’un réseau social dont le siège se situe aux Etats-Unis attribue avec constance aux œuvres d’art mettant en scène la nudité le qualificatif de « pornographique » alors même qu’un arrêt de la Cour suprême rendu en 1973 (Miller vs California) ne reconnaît un caractère obscène qu’à un « matériau » dénué de « valeur littéraire, artistique, politique ou scientifique sérieuse ». Qui en effet, aujourd’hui, à moins de faire preuve d’un puritanisme frisant l’obscurantisme, se risquerait à contester à L’Origine du monde une « valeur artistique sérieuse » ? Pour autant, l’ordonnance du juge de la mise en état dépasse largement le cas spécifique du plaignant et le cadre de son recours. C’est ce que souligne son avocat, Me Stéphane Cottineau, interrogé par l’AFP : « Compte-tenu de l’aura du TGI de Paris, cette décision va faire jurisprudence pour les autres réseaux sociaux et autres géants du net qui utilisent l’implantation à l’étranger de leur siège social, principalement aux États-Unis, pour tenter d’échapper à la loi française. » De nouvelles perspectives s’ouvrent donc, tant pour les autorités désireuses de faire obstacle aux apologies du terrorisme qui abondent sur les réseaux que pour les consommateurs jusqu’à présent soumis aux clauses léonines imposées par certaines grandes enseignes du commerce en ligne.