Rarement la carte postale aura été si trompeuse : le Limbourg, ses tableaux champêtres, ses plaines sans relief, ses chemins terreux et sa sérénité agreste. Derrière les vastes étendues verdâtres, harmonieuses et inviolées, se cachent un juteux trafic d’hormones, une corruption endémique, des dialectes rugueux et des fêlures insoupçonnées…
Une description panoptique du monde paysan, accueillant en son sein les frustrations et meurtrissures d’un éleveur de bétail émasculé à l’adolescence, devenu esclave des anabolisants qui préservent artificiellement sa virilité. Au carrefour des genres, quelque part entre le polar noir et le drame intimiste, Bullhead déploie un récit à enchâssements nourri de flashbacks douloureux, phylogénèse de l’animal blessé qui assaillit son imagerie, campé par un Matthias Schoenaerts massif et fascinant. Une figure tourmentée, instable, poursuivie par un amour hypothétique, plus à l’aise dans des étables vétustes et fétides qu’au sein d’une discothèque grouillante ou une parfumerie aseptisée.
Dominé par les couleurs sombres et les plans léchés, Bullhead restera de bout en bout chevillé à Jacky Vanmarsenille, antihéros écorché et violent, reléguant à la marge la dimension policière du récit, articulée autour de l’assassinat d’un agent fédéral. Scénariste et réalisateur, Michaël R. Roskam érige le monde rural, très conservateur, en abîme moral, où l’homosexualité est battue en brèche, alors que des méfaits de toutes sortes se dessinent dans la clandestinité. Atmosphère pesante, caméra mouvante, carrure robuste isolée, ce thriller en milieu bovin contrebalance une implacable noirceur par des parenthèses humoristiques ingénieusement introduites – les petites frappes liégeoises décérébrées –, tandis que sa réalisation fait sens à la faveur de jeux de lumière, de plans inclinés, ou de mouvements de caméra spiralés. Une plongée vertigineuse là où l’espoir se brise et l’humanité s’érode, sans concession ni pruderie moralisatrice.