Mais que veut exactement la Grande-Bretagne ? Il a fallut attendre presque trois ans après l’annonce du référendum sur l’appartenance de son pays à l’Union pour que David Cameron liste enfin ses revendications. Mais la lettre que le Premier ministre a envoyé mardi à Bruxelles est loin d’avoir dissipé toutes les ambiguïtés: car c’est une chose de réclamer en général une « Europe » à la sauce britannique, c’en est une autre de l’articuler juridiquement et encore une autre de la faire accepter par ses ses vingt-sept partenaires. « Même s’ils ne demandent pas la lune, chaque revendication britannique provoquera de fortes oppositions dans un ou plusieurs États membres », reconnaît un haut fonctionnaire européen. Sans compter que Cameron est pour le moins maladroit en menaçant ses partenaires ce qui risque de crisper les négociations à venir : ou il obtient ce qu’il veut ou il fera campagne pour la sortie.
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La bonne nouvelle pour Cameron est qu’« aucun État membre, pour des raisons diverses, n’a envie que la Grande-Bretagne quitte l’Union », souligne-t-on à Bruxelles. Mais si chacun est prêt à l’aider, ça ne sera pas au prix d’un affaiblissement de la construction communautaire. Ainsi, Angela Merkel, la chancelière allemande, a de nouveau cadré, le 3 novembre, les limites de l’exercice qui s’annonce : « le Royaume-Uni doit rester membre de l’UE » et « nous allons apporter notre contribution là où nous le pouvons ». Mais, pour « le reste, c’est aux Britanniques d’en décider et j’espère sincèrement qu’ils le feront d’une manière qui renforcera l’Europe dans son ensemble ». « Renforcer », pas « affaiblir ». Or, chaque demande de Cameron vise à enfoncer un coin dans le projet commun.
Réouvrir les traités
Le premier problème qui va diviser les Vingt-huit est celui de la réouverture ou non des traités. François Hollande y est farouchement opposé par peur d’avoir à organiser un référendum. Or, pour reconnaître que « l’euro n’est pas la seule monnaie de l’Union », pour exempter la Grande-Bretagne du préambule qui prévoit que les États membres sont « résolus à poursuivre le processus créant une union sans cesse plus étroite entre les peuples de l’Europe », pour renforcer les pouvoirs des parlements nationaux dans les domaines de compétence communautaire ou encore pour préserver les intérêts des États non membres de la zone euro, il faut en passer par une remise à plat des traités : une simple déclaration du Conseil européen n’aurait strictement aucune valeur légale, ce que ne manqueraient pas d’exploiter les europhobes britanniques. À Berlin, on ne voit aucun inconvénient à une réouverture des traités, car « cela permettra d’approfondir la zone euro, de faire passer dans le communautaire ce qui est actuellement du domaine intergouvernemental », par exemple le Mécanisme européen de stabilité (MES), ou encore d’introduire un contrôle parlementaire des décisions de la zone euro. Un approfondissement que souhaite d’ailleurs Londres afin de stabiliser durablement la monnaie unique : « les Britanniques sont devenus les meilleurs avocats de l’euro », s’amuse un fonctionnaire européen, « car ils ont souffert de la crise de la dette publique ».
Berlin se demande donc comment modifier les traités avant 2017, année électorale en France, mais aussi en Allemagne, sans pour autant que cela entraine un référendum dans un ou plusieurs pays : « il faudrait des modifications très techniques et très précises pour qu’on puisse se passer d’une Convention réunissant les parlements nationaux et européen. On l’a fait pour le MES, c’est jouable ». On en est nettement moins convaincu à Paris qui préfère tout renvoyer à l’après 2017. Ce qui est impossible pour Cameron…
2017, année électorale
En imaginant même que les Vingt-huit parviennent à un accord sur la réouverture des traités, le temps risque de manquer : il faudrait un accord politique en décembre, puis une négociation technique et, enfin, une ratification par les parlements nationaux. En imaginant que chaque pays ne cherche pas à alourdir la barque en exigeant sa réforme, il faudra un an pour y parvenir, ce qui renvoie, au mieux, en 2017, année électorale en France et en Allemagne. Il n’est pas sûr, c’est un euphémisme, que Paris et Berlin voient d’un bon œil une campagne référendaire, qui s’annonce hystérique, à ce moment-là, car elle aura évidemment des répercussions chez eux. « Cameron a promis un référendum avant fin 2017, soit après les élections allemandes. C’est donc jouable » veut croire un diplomate européen.
Dernier problème : ce calendrier serré n’est jouable que si les Vingt-huit parviennent à un accord rapide. Or, les sujets que Londres veut voir traiter sont explosifs : les pays d’Europe de l’Est accepteront-ils sans ciller de voir les droits sociaux de leurs ressortissants travaillant au Royaume-Uni réduit à la portion congrue ? Les États de la zone euro seront-ils prêts à accorder un droit de regard à Londres dans leurs affaires intérieures ? La France acceptera-t-elle que l’Union soit davantage « libérale » qu’elle ne l’est ? On peut en douter. Or, chaque soubresaut fournira des arguments aux europhobes britanniques. À Bruxelles, on se demande « comment Cameron a réussi à se mettre tout seul entre le marteau et l’enclume ». Au point que beaucoup estiment que seul le conservatisme britannique permettra à Cameron d’éviter le « Brexit » et non une hypothétique réforme des traités.
N.B. 1 : Version longue de mon article paru dans Libération du 10 novembre