C’est à prendre ou à laisser. L’Eurogroupe (les dix-neuf ministres des Finances de la zone euro plus la Banque centrale européenne et le Fonds monétaire international), qui s’est réuni lundi après-midi à Bruxelles, a lancé un ultimatum en bonne et due forme à la Grèce : elle a une semaine pour accepter la prolongation du «programme» (ou «mémorandum») actuel qui lui assure un financement (7 milliards d’euros) dont elle a besoin pour faire face à ses échéances en échange de nouvelles coupes budgétaires et de hausses d’impôts.
Sinon, elle devra se débrouiller seule. Les Européens, toutes tendances politiques confondues, campent donc sur une ligne dure face à Syriza, le parti de gauche radicale vainqueur des élections du 25 janvier.
Yanis Varoufakis, ministre Grec des Finances. Photo: François Lenoir. Reuters
Le gouvernement dirigé par Alexis Tsipras ne s’attendait sans doute pas à se retrouver ainsi totalement isolé. Il faut dire qu’il n’entend pas céder d’un iota sur son programme électoral qui exclut non seulement tout nouveau sacrifice pour sa population, mais prévoit un plan de relance estimé à environ 12 milliards d’euros. Syriza espérait au moins que ses partenaires accepteraient de lui fournir l’argent dont elle a besoin (notamment pour rembourser, en mars, 1,2 milliard au FMI et 4,6 milliards de bons du Trésor à court terme), en attendant qu’il peaufine un nouveau programme de réformes en échange d’un allègement de ses obligations (notamment un effort budgétaire moindre que prévu).
Mais la zone euro a refusé de donner du temps au temps. L’Eurogroupe a exigé, dès le début de la réunion, la prolongation du programme en cours (ce qui aurait dû être fait depuis l’automne dernier), qui arrive à échéance à la fin du mois, avant de poursuivre les discussions. Le président de l’Eurogroupe, le Néerlandais Jeroen Dijsselboem, a martelé, lors de la conférence de presse finale, que «le gouvernement grec doit s’engager sur le fait qu’il accepte les principaux éléments du programme». «Il n’y a pas d’alternative à la prolongation du programme», a renchéri le commissaire européen aux Affaires économiques, Pierre Moscovici, ce qui donnerait «du temps pour faire évoluer les choses, pour construire un nouveau contrat». Une exigence aussitôt rejetée par Yanis Varoufakis qui l’a jugé «absurde» et «inacceptable». La réunion s’est arrêtée là.
Intransigeance contre intransigeance
Il est «très clair que le prochain pas doit venir des autorités grecques […] et au vu du calendrier, on peut utiliser cette semaine, mais c’est à peu près tout», a menacé Dijsselboem. L’énervement tangible des partenaires d’Athènes s’explique notamment par le flou de la position grecque :
trois semaines après les élections législatives, le gouvernement Tsipras n’a toujours pas présenté de demandes précises et surtout chiffrées. «Ce n’est pas une question de négociations, mais plutôt de savoir ce que la Grèce veut vraiment», a ainsi expliqué à son arrivée à Bruxelles, Wolfgang Schäuble, le grand argentier allemand, qui a par ailleurs dénoncé «l’irresponsabilité»du nouveau gouvernement grec. Athènes n’a mis «aucune proposition concrète sur la table», a confirmé son homologue autrichien, Hans Jörg Schelling.
L’attitude de Yanis Varoufakis, qui traite ses collègues par le mépris, jugeant publiquement que seul Schäuble est à sa dimension, et leur dispense des leçons d’économie, n’a pas aidé au compromis… Reste à savoir quelle est la part de tactique dans l’intransigeance grecque. Il est possible que Tsipras joue une partie de politique intérieure visant à convaincre son aile gauche (30 % environ de Syriza) qu’il s’est battu jusqu’au bout avant d’en rabattre.
A l’inverse, on peut s’interroger sur la marge de manœuvre dont disposent les pays qui doivent faire ratifier toute modification du programme grec par leur parlement national. C’est notamment le cas de l’Allemagne, de la Finlande, de l’Autriche ou encore des Pays-Bas. La dureté de l’Eurogroupe à l’égard de la Grèce peut aussi s’expliquer par la nécessité de donner l’impression d’un combat de Titan, là aussi avant d’en rabattre… C’est en tout cas ce que l’on peut déduire des explications données par Yanis Varoufakis lors de sa conférence de presse : il a affirmé qu’il était prêt à signer une proposition de compromis présentée par la Commission qui reconnaissait la gravité de «la crise humanitaire» en Grèce et accordant «une extension de quatre mois de l’accord de prêt» assorti de «conditions». Des mots importants pour la Grèce, puisqu’on ne parle plus «d’extension du programme» (la subtilité est là…). En échange, le gouvernement était prêt, a poursuivi le grand argentier grec, à «ne pas appliquer pendant six mois son propre programme», à la seule condition «de ne pas se voir imposer de mesures créant de la récession», comme la hausse de la TVA ou une baisse des retraites les plus faibles. «Malheureusement, ce document a été remplacé» juste avant le début de la réunion qu’il «nous était impossible de signer puisqu’il proposait une «extension du programme en cours».
Difficile de savoir, à l’heure où nous écrivons ces lignes, si cette version est exacte. Si c’est le cas, cela donne une mesure de l’influence de l’Allemagne et des pays nordiques sur l’Eurogroupe. Il est aussi possible que Berlin ait réussi à persuader ses partenaires qu’il fallait que Syriza donne davantage d’assurances sur ce qu’il voulait obtenir après.
Plus beaucoup de temps pour laisser du temps au temps
Reste que ce «haka» que ne renieraient pas les All Blacks est dangereux. Les caisses hellènes sont presque vides, en partie parce que les Grecs ont arrêté de payer l’impôt foncier, la Banque centrale européenne a décidé de ne plus accepter la dette grecque en garantie des prêts demandés par les banques commerciales grecques et les retraits aux guichets des banques atteignent déjà plus de 13 milliards ce qui fragilise le secteur financier… Heureusement, le défaut ne menace pas immédiatement : comme le budget grec est à l’équilibre, Athènes peut tenir (mais sans plan de relance) jusqu’à l’été (elle devra alors rembourser 6,7 milliards à la BCE). Ce qui laisse encore un peu de temps pour que chacun revienne à la raison. Varoufakis s’est dit confiant dans la possibilité de parvenir à un accord dans les 48 heures. Optimiste ?