Libéral soucieux d’installer la Russie dans la modernité démocratique, Boris Nemtsov s’était engagé depuis plus de dix ans pour la liberté et la démocratie en Ukraine. Il allait publier un rapport accablant sur l’implication des troupes russes dans l’Est de l’Ukraine.
Petite ambiance de Sarajevo avec un siècle de décalage. Les Russes ont peur. Le démocrate libéral russe Boris Nemtsov a été sauvagement assassiné à 55 ans dans la soirée du vendredi 27 février 2015 (à 23 heures 31, heure de Moscou), au pied des remparts du Kremlin, à Moscou, par quatre balles tirées dans son dos. Cet événement bouleversant n’a pas semblé être traité à sa juste valeur par les médias français. Lundi matin, un éditorialiste multi-interventionniste à la télévision n’avait d’ailleurs pas de scrupule à reconnaître qu’il ne connaissait même pas son nom avant son assassinat.
Pourtant, Boris Nemtsov est l’une des figures historiques importantes de la Russie postsoviétique, et aurait même pu se retrouver à la place de Vladimir Poutine en l’an 2000.
Né le 9 octobre 1959 à Sotchi, chrétien orthodoxe d’origine juive, Boris Nemtsov fut le petit-neveu du révolutionnaire bolchévique Yakov Sverdlov (1885-1919) accusé d’avoir ordonné l’assassinat du tsar Nicolas II et de la famille impériale. Il avait suivi de brillantes études scientifiques à Nijniy Novgorod (à l’époque, la ville s’appelait Gorki) jusqu’au doctorat et a été physicien à l’Institut de recherche radiophysique (NIRFI) à Nijniy Novgorod jusqu’en 1990.
Militant contre la construction d’une nouvelle centrale nucléaire après l’accident de Tchernobyl, Boris Nemtsov a commencé sa vie politique en se présentant sans succès aux élections du 26 mars 1989 pour désigner le Congrès des députés du peuple d’Union Soviétique. À l’époque, il prônait le multipartisme et le libéralisme économique. Face à plusieurs candidats communistes, il fut finalement élu député aux premières élections presque libres le 4 mars 1990 au Soviet Suprême de l’Union Soviétique représentant Nijniy Novgorod et s’est retrouvé très proche de Boris Eltsine (1931-2007), alors Président de la RSFS de Russie (depuis le 29 mai 1990), lors du coup d’État du 19 août 1991 contre Mikhail Gorbatchev.
Sa fidélité à Boris Eltsine a valu à Boris Nemtsov d’être désigné gouverneur de l’oblast (région) de Nijniy Novgorod en novembre 1991 à l’âge de 32 ans, réélu en décembre 1995, jusqu’en mars 1997. Ces années (1991-1997) lui ont permis de faire de sa région un laboratoire de la réforme, avec une forte croissance économique saluée par l’ancienne Premier Ministre britannique Margaret Thatcher venue le visiter le 21 juillet 1993. Élu le 12 décembre 1993 (jusqu’en mars 1997) au Conseil de la Fédération (l’équivalent du Sénat russe), sous les couleurs du parti libéral, il fit partie de l’équipe économique du puissant Anatoli Tchoubaïs (né en 1955).
Boris Eltsine nomma Boris Nemtsov Vice-Premier Ministre de la Fédération de Russie du 17 mars 1997 au 28 août 1998 avec la responsabilité du secteur de l’énergie. Son poste stratégique pour les réformes économiques a été exercé sous deux gouvernements, celui de Viktor Tchernomyrdine (1938-2010) jusqu’au 28 avril 1998 puis celui de Sergei Kirienko (né en 1962). À cette époque, Boris Nemtsov était très populaire, au point d’être le favori dans la succession de Boris Eltsine dans les sondages ; il atteignait 50% en été 1997 dans les intentions de vote pour l’élection présidentielle. Boris Eltsine avait même prévu d’en faire son dauphin officiel jusqu’au krach boursier du 10 août 1998 où Boris Nemtsov et les autres ministres furent balayé. Boris Eltsine s’appuya finalement le 16 août 1999 sur l’ancien directeur de l’ex-KGB Vladimir Poutine (né en 1952).
De décembre 1999 à décembre 2003, Boris Nemtsov fut élu député à la Douma dont il fut vice-président en février 2000. Leader de l’Union des forces de droite (9% et 31 sièges sur 450 aux élections législatives du 18 décembre 1999), il succéda à la présidence de ce parti lors du retrait de Sergei Kirienko en mai 2000, mais le message politique de ce parti pour les élections législatives du 7 décembre 2003 fut contradictoire entre un discours dans l’opposition d’un côté, et un message de collaboration avec le pouvoir exécutif d’un autre côté, délivré par Anatoli Tchoubaïs qui en était le vice-président. La défaite électorale (seulement 4% et aucun siège) a conduit Boris Nemtsov à démissionner de la présidence de ce parti en janvier 2004.
Directeur d’une banque en février 2004, conseiller économique du Président ukrainien Viktor Iouchtchenko en février 2005 en pleine Révolution orange, Boris Nemtsov avait renoncé à se présenter à l’élection présidentielle du 2 mars 2008 au profit de Mikhail Kassianov (né en 1957), qui fut Premier Ministre du 7 mai 2000 au 24 février 2004, pour éviter la multiplicité des candidatures démocrates (la candidature de Mikhail Kassianov fut finalement invalidée le 27 janvier 2008). Après avoir créé un nouveau parti politique (Solidarnost) le 13 décembre 2008 avec Garry Kasparov (ne en 1963), il se présenta sans succès à la mairie de Sotchi, sa ville natale, aux élections municipales du 26 avril 2009 (obtenant seulement 14%), en prenant vivement position contre l’organisation des jeux olympiques d’hiver de février 2014.
En novembre 2007, décembre 2010 et décembre 2011, il fut plusieurs fois arrêté et emprisonné brièvement parce qu’il participait à des manifestations d’opposition contre le retour de Vladimir Poutine à la Présidence de la Fédération de Russie. Dès la fin 2013, Boris Nemtsov avait soutenu très courageusement le pouvoir ukrainien face aux menées séparatistes russes et considérait que l’annexion de la Crimée par la Russie était complètement illégale.
L’assassinat de Boris Nemtsov intervient dans un contexte très particulier où la Russie est engagée dans un rapport de force avec l’Ukraine dans une escalade particulièrement dangereuse pour la paix dans le monde. Il n’est pas sans rappeler que d’autres réformateurs démocrates ont, eux aussi, péri parfois de manière très trouble, comme l’économiste Egor Gaïdar (1956-2009), qui fut le Premier Ministre de Boris Eltsine du 15 juin 1992 au 14 décembre 1992, à l’origine de la désoviétisation de l’économie russe, qui s’est retrouvé gravement malade le 24 novembre 2006 à Dublin, au lendemain de la mort à Londres par empoisonnement au polonium de l’ancien espion russe Alexandre Litvinenko (1962-2006), et qui s’est éteint le 16 décembre 2009 à 53 ans.
Boris Nemtsov a été assassiné alors qu’il revenait d’un dîner en centre ville accompagné de sa jeune compagne, un mannequin ukrainien de 23 ans, Anna Duritskaya. Elle lui aurait proposé un taxi pour rentrer chez eux mais Boris Nemtsov avait préféré marcher dans la rue. Anna Duritskaya lui tenait la main lorsque les tueurs sont arrivés et ont tiré, sans la blesser. Quelques heures après son assassinat, son appartement a été fouillé et tous ses documents et ordinateurs ont été confisqués. Anna Duritskaya est retenue par la police (comme principal témoin) et la police refuserait de la laisser repartir chez ses parents à Kiev. L’enquête sur l’assassinat de Boris Nemtsov est loin d’être achevée mais de part et d’autre, beaucoup désignent déjà ses auteurs potentiels.
D’un côté, Vladimir Poutine est montré du doigt alors que Boris Nemtsov, qui craignait pour sa vie, aurait sans doute été un opposant politique redoutable dans les années à venir, même s’il était plutôt considéré comme un homme du passé. De l’autre côté, quelques minutes après cet attentat, Vladimir Poutine a tout de suite évoqué une provocation contre lui et pour déstabiliser la Russie, et a pris personnellement en main la supervision de l’enquête criminelle. Certains évoquent aussi un complot des États-Unis et d’autres une piste islamiste. Étrangement, la Lada Priora blanche qui aurait été utilisée par les assassins pour suivre Boris Nemtsov a été retrouvée très rapidement, immatriculée d’Ingouchie. D’autres hypothèses surgissent comme celle d’un ancien amant jaloux d’Anna Duritskaya. Gageons que la désinformation sur cet assassinat sera au moins aussi grande que sur le tir contre le vol MH-17.
La manifestation contre la guerre en Ukraine et ses conséquences économiques en Russie qu’avait organisée entre autres Boris Nemtsov pour le dimanche 1er mars 2015 dans les rues de Moscou s’est transformée en grande marche en son hommage, après l’émotion suscitée par sa brutale disparition. Jamais une manifestation n’a été aussi importante depuis l’élection présidentielle de mars 2012, soixante-dix mille manifestants pour les organisateurs (près de vingt mille pour la police).
Hommage à Boris Nemtsov, combattant courageux des libertés !