News News News. Demain vendredi 27 novembre sera un jour du deuil national en hommages aux victimes des attentats du vendredi 13. Fait exceptionnel, le gouvernement a appelé à accrocher des drapeaux tricolores aux fenêtres. Retour sur l’histoire mouvementée des trois couleurs qui symbolisent la République française
Bleu, blanc, rouge… Les trois couleurs du drapeau français ont été un peu partout mises à l’honneur à l’étranger, le samedi 14 novembre, suite aux attentats du vendredi 13. En signe de solidarité avec les victimes. Et plus largement, avec tous les Français. Bleu, blanc, rouge l’Opéra de Sydney, le Christ du Corcovado à Rio de Janeiro, l’hôtel de ville de San Francisco, le London Bridge à Londres, la porte de Brandebourg à Berlin, les remparts de Jérusalem, l’Oriental Pearl Tower à Shanghaï… Pour les responsables de ces pays, les trois couleurs symbolisent la France toute entière et ses habitants meurtris. Ils y voient une manière forte, symbolique, immédiatement compréhensible, de les soutenir en cette époque de drame et de deuil.
En France aussi, le drapeau national est apparu en de nombreux lieux, porté au cours des manifestations silencieuses, déposé avec des fleurs autour du Bataclan, accroché aux balcons. Mais aussi sur les réseaux sociaux. Dès le samedi 14 novembre, Facebook a mis en ligne un filtre permettant de coloriser sa photo de présentation en bleu, blanc, rouge, ce qu’ont fait des dizaines de milliers d’internautes en France, et dans le monde. Ceux-ci ont aussi posté des visages de Marianne en larme, ou une tour Eiffel en forme de signe de paix (le désormais célèbre Peace for Paris dessiné par Jean Jullien), ou encore un majeur dressé accompagné d’un «Fuck djihadistes ». Toujours en bleu, blanc, rouge. A lire les textes des internautes, il s’agit d’affirmer un message fort : face à la barbarie, nous les Français libres du pays du drapeau de la République, nous continuons nos vies pacifiées, nous résistons aux assassins, nous n’avons pas peur, nous continuons à sortir, à fréquenter les cafés, nous sommes toujours vivants.
Sur Facebook, quelques-uns ont vu dans ces images colorisées en bleu blanc rouge un signe d’agressivité. Une Française, Charlotte, a expliqué : « Je ne changerai pas ma photo de profil pour le drapeau français, même si je suis française et de Paris. (…) Mon cœur appartient au monde, sans frontières ni hiérarchie, je tiens à toute vie humaine attaquée par des croyances extrémistes, qu’elles soient basées sur la religion, les préjugés ou le profit. » Ce post a recueilli 150 000 « J’aime ». Ailleurs, un texte écrit par une féministe trouve que cette cascade de bleu, blanc, rouge « donne une allure FN à Facebook ». D’autres refusent de laisser réduire leur colère et leur vie à une réaction qui serait «nationaliste » ou « cocardière ». Certains rappellent que le drapeau bleu blanc rouge fut aussi celui du colonialisme triomphant, de la France de Vichy, et qu’il symbolise aussi la France guerrière, la France militaire, la France réactionnaire.
Des réactions qui rappellent que le drapeau tricolore porte sa part d’ombre, et qu’il pourrait ne pas être le bon emblème pour représenter la France républicaine, la France du triptyque « Liberté Egalité Fraternité », la France des droits de l’Homme – ceux que les pays étrangers célèbrent. Un internaute écrit : « Trouvons un autre symbole pour nous représenter ». Peut-être, mais lequel ? D’autant que l’histoire des trois couleurs, du bleu blanc, rouge, fort agitée, mérite d’être entendue…
Cocardes et Concorde
Fabrice D’Almeida, professeur d’histoire à l’université Panthéon-Assas (Paris-II), a par exemple rappelé sur son blog, en réponse à ces critiques, combien le bleu, blanc, rouge, dès son apparition, a cristallisé les grands affrontements politiques du pays, mais aussi, bien souvent, a permis d’établir un consensus : « Ces couleurs devaient manifester le retour de la concorde en un temps où le pays frisait la guerre civile, à l’aube de la Révolution» écrit-il. Elles n’ont jamais été « l’apanage d’une force politique ». Au contraire, elles ont été choisies pour les rassembler toutes.
En 1789, alors que Paris se soulève, les insurgés, les clubs révolutionnaires, la garde municipale portent des cocardes bleu et rouge, qui sont les couleurs de la ville de Paris. Mais aussi, par défi, des cocardes tricolores. Selon l’historien Michel Pastoureau, auteur de Bleu. Histoire d’une couleur (Le Seuil, 2000), le tricolore révolutionnaire connaît un tel succès parce qu’il s’inspire du drapeau de l’indépendance américaine – bleu semé d’étoiles, blanc et rouge – adopté le 14 juin 1777. C’est un symbole fort. Tous les anti-monarchistes français d’alors s’en emparent – et le portent en sautoir.
C’est le marquis de La Fayette qui va officialiser le bleu,blanc, rouge comme emblème de la France unie, le 17 juillet 1789, après la prise de la Bastille, quand Louis XVI se rend à l’hôtel de ville de Paris pour saluer la garde nationale – qui arbore la cocarde. La Fayette en offre une au roi, qui s’empresse de l’exhiber. Le marquis aurait alors déclaré : «Sire, Henri IV avait reconquis son peuple, aujourd’hui le peuple a reconquis son roi. »
La liberté guidant le peuple
Le tricolore symbolise ce jour-là l’alliance du peuple de Paris, représenté par le bleu et le rouge, et de la royauté, incarnée par le blanc – à l’époque, beaucoup ( dont La Fayette ) espèrent encore instituer une monarchie éclairée, constitutionnelle – à l’anglaise. Les trois couleurs seront omniprésentes sur les tribunes, les habits, dans les arbres, lors de la Fête de la Fédération du 14 juillet 1790, où une immense foule et les 83 députés de la nation se réunissent autour du roi pour fêter la prise de la Bastille. Elles cimentent l’unité nationale.
La communion ne durera pas. La Révolution accouche de la République. Le 15 février 1794, la monarchie défaite, l’Assemblée nationale conserve les trois couleurs comme emblème d’unité nationale, et adopte le drapeau tel que nous le connaissons aujourd’hui – « bleu au mât, blanc au centre et rouge flottant » –, dont l’idée émane du peintre Jacques-Louis David. Il devient l’étendard de la République et de l’armée révolutionnaire qui va défaire les forces royalistes à Valmy.
En 1814, lors de la Restauration, le tricolore est abandonné. Le blanc, considéré comme royal depuis Henri IV (et son fameux panache), redevient la couleur de la France. Mais pour peu de temps. En juillet 1830, pendant l’insurrection des Trois Glorieuses, Paris se couvre de bleu, blanc, rouge. Si les républicains échouent à prendre le pouvoir, le roi Louis-Philippe, sous la pression populaire, restaure le drapeau de 1794 – et Eugène Delacroix peint son célèbre tableau La Liberté guidant le peuple, où une femme, sein nus, marche en tête des barricadiers drapeau bleu, blanc, rouge à la main. Elle incarne la République libre, non défaite.
Pendant la révolution de 1848, qui met à nouveau fin à la monarchie, nombre d’insurgés parisiens réclament que le drapeau rouge devienne l’étendard national. Ils veulent se débarrasser du blanc, qu’ils considèrent associé à la monarchie honnie. Mais le poète Lamartine, qui a proclamé la République, et n’ a pas oublié l’épisode sanglant de la Terreur, prend la défense des trois couleurs sur le parvis de l’Hôtel de Ville. « Le drapeau rouge que vous nous rapportez n’a jamais fait que le tour du Champ-de-Mars traîné dans le sang du peuple en 1791 et en 1793, alors que le drapeau tricolore a fait le tour du monde avec le nom, la gloire et la liberté de la patrie », s’écrie-t-il. Il est ovationné. Le bleu, blanc, rouge redevient le symbole de la République.
Par la suite, le tricolore a été la proie de bien des batailles politiques. Si Pétain et le régime de Vichy, d’extrême-droite, collaborateurs de l’occupant allemand, font du drapeau l’emblème de leur « révolution nationale » austère et raciste dans les années 1940, De Gaulle et les résistants le récupéreront pour pavoiser Paris pendant la Libération. Dès lors, il n’appartient plus à aucune force politique, mais à la république – au pays. Les étrangers ne s’y trompent pas.
« Depuis l’apparition de la cocarde, résume Fabrice D’Almeida, ces couleurs ont traversé tous les régimes, dans la peine ou dans la gloire, avant d’être adoptées par notre Constitution, en 1958. Ce symbole appartient à tous et à chacun. Ne pas le comprendre aujourd’hui paraît totalement décalé. » C’est pourquoi l’historien regrette que certains puissent le rejeter, oublier sa continuité républicaine, dans ce «moment où le tricolore porte un idéal de solidarité et de paix à l’heure du deuil ».