La Chancelière allemande Angela Merkel est prête à mettre en minorité la Grande-Bretagne afin que Jean-Claude Juncker, le candidat du PPE (conservateurs) puisse accéder à la présidence de la Commission européenne.
Ce lundi 2 juin, à Berlin, en marge d’une visite du Premier ministre géorgien, elle a expliqué, rapporte l’agence Reuters, que «dans toutes les discussions que j’ai, je cherche à m’assurer que Jean-Claude Juncker aura la majorité nécessaire au Conseil pour devenir le prochain président de la Commission européenne». «Je travaille aussi pour m’assurer que cette décision, même si elle est controversée, et vous savez que la majorité requise est la majorité qualifiée, sera prise dans un esprit européen. Et par esprit européen, cela signifie que l’on doit toujours tout faire pour atteindre le niveau le plus élevé de consensus». La menace est claire et précise.
Voilà qui va désappointer les britanniques qui espéraient que Merkel hésiterait à isoler Cameron par souci de garder la Grande-Bretagne à bord du navire européen et accepterait au final un candidat de compromis. Chacune des précautions oratoires de celle qui est clairement la «faiseuse de rois» en Europe était interprétée, notamment par des médias tous acquis à la cause du 10 Downing Street, comme autant de signaux montrant qu’elle refuserait de passer au vote. Mais sous la pression des médias allemands qui voyaient là un déni de démocratie, mais aussi de son partenaire de coalition, le SPD, qui l’accusait d’être prête à céder au chantage britannique, la chancelière a dû reculer : depuis le dîner du 27 mai qui a réuni les Vingt-huit, elle a de plus en plus clairement affirmé son soutien à la tête de liste du PPE. Ainsi, vendredi dernier, elle a assené lors d’un déplacement à Regensburg : «je conduis désormais toutes les discussions précisément dans l’esprit que Jean-Claude Juncker doit devenir le président de la Commission européenne».
Rappelons que c’est elle qui a imposé l’ancien Premier ministre luxembourgeois, en mars, lors du congrès de Dublin, au détriment du Français Michel Barnier, après s’être résignée, non sans hésitation, à ce que les conservateurs aient aussi leur tête de liste. Pour ce faire, elle n’a pas hésité à « acheter » la délégation espagnole, pourtant acquise à la candidature du Français, en promettant à Madrid la présidence de l’Eurogroupe… Mais, comme toujours avec la Chancelière, elle a gardé deux fers au feu. Son idée était, au lendemain des élections du 25 mai, de nommer la tête de liste du PPE à la présidence du Conseil européen, comme le Luxembourgeois le souhaitait d’ailleurs, et de récupérer ainsi une marge de manœuvre pour nommer qui elle l’entendait (Christine Lagarde, l’actuelle directrice générale du FMI, aurait eu sa préférence). Une manœuvre machiavélique qui a échoué, la dynamique démocratique lancée par les partis politiques européens ayant tout emporté sur son passage : non seulement Merkel doit désormais y céder, mais Juncker lui-même n’a d’autres choix que de se battre pour devenir président de la Commission «à l’insu de son plein gré»…
La seule incertitude était de savoir si Merkel oserait isoler Cameron. Celui-ci, selon le Spiegel, aurait sorti le grand jeu lors du sommet du 27 mai : il aurait expliqué à la Chancelière que la nomination d’un fédéraliste le fragiliserait sur la scène intérieure et l’obligerait à organiser plus rapidement que prévu un référendum sur le maintien de la Grande-Bretagne dans l’Union. Il en a manifestement trop fait, comme le montre l’existence même de cette fuite, manifestement d’origine allemande : entre la démocratie, tant allemande qu’européenne, et les diktats britanniques, Merkel a finalement choisi.
Si Cameron ne parvient pas à réunir une minorité de blocage (avec le basculement de la chancelière, cela va devenir très difficile) et à tuer la candidature de Juncker, Cameron aura échoué à mettre ses pas dans ceux de ses prédécesseurs : en 1984, Margareth Thatcher avait eu la peau de Claude Cheysson (elle n’avait pas vu la «dangerosité» de Jacques Delors…), en 1994, John Major, celle de Jean-Luc Dehaene (on a eu Jacques Santer), en 2004, Tony Blair, celle de Guy Verhofstadt (on a eu Barroso) et enfin, en 2009, Gordon Brown, celle de Jean-Claude Juncker candidat au poste de président du Conseil européen (on a eu Herman Van Rompuy)… Gageons qu’alors le Premier ministre britannique, affaibli par cet épisode, va connaître des jours difficiles dans son pays.